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Pocheset Littérature  

La Mystérieuse flamme de la reine Loana
de Umberto Eco
Le Livre de Poche 2006 /  7.50 €- 49.13  ffr. / 563 pages
ISBN : 2-253-11536-3
FORMAT : 11,0cm x 18,0cm

Première publication française en mars 2005 (Grasset).

Traduit de l'italien par Jean-Noël Schifano.


Passé trépassé?

Yambo se réveille un matin d’avril, d’un coma. Accident. Les siens l’entourent ; il ne les reconnaît pas. Le vieux libraire et bibliophile milanais n’a conservé que sa mémoire biologique et celle, générale et de papier, apprise au fil d’une vie. A soixante ans, il a une culture encyclopédique. Point-à-la-ligne. Sur lui-même, sa vie propre, ceux qu’il a aimés, son enfance, il ne sait plus rien. La mémoire affective s’en est allée et ne ressurgira, brouillonne et cataclysmique, qu’à l’occasion d’un second coma, à la fin de ce roman sublime, épais et dense comme on en voit trop peu… «Cela vaut-il la peine d’être né si ensuite tu ne t’en souviens pas ? Et, techniquement parlant, étais-je jamais né ? Ce sont les autres qui le disaient, comme d’habitude. Pour ce que j’en savais, moi j’étais né en avril, à soixante ans, dans une salle d’hôpital.»

La Mystérieuse flamme de la reine Loana est le récit de cette quête, maladroite réappropriation du soi, semée d’embûches car l’on ne parvient jamais vraiment à distinguer ce que l’on sait de ce qui fut vécu. Se souvenir sur le bout des doigts de contes enfantins, de règles de grammaire, sans savoir quand ni comment l’information fut ingérée, faite sienne, appréciée. Yambo avance à tâtons dans un monde qu’il connaît et ignore à la fois. Etrange chiasme que la passion de notre érudit pour les grandes citations évoquant les brumes semblait annoncer, rétrospectivement.

Il part en pèlerinage dans la maison familiale, à Solara, où, espère-t-il, les livres et les cahiers d’écoles, quelques disques, BD et photos l’aideront à sortir de ce brouillard existentiel. Et le lecteur de le suivre dans cette pérégrination, fiévreusement. Car la mémoire de Yambo, on le devine, est aussi celle de l’auteur qui le met en scène, offrant avec fierté et pudeur les bribes d’histoire et de culture ayant fait l’homme d’aujourd’hui. C’est tout un processus de sédimentation qu’Eco offre ainsi à voir. Et il nous aide dans cette exploration géologique, parsemant le récit de photos et illustrations, certains montages de sa main, toute une iconographie autobiographique, faite de couvertures de livres, de photos d’enfance, de pochettes de disques. Toute une époque exhumée par petites touches. L’histoire de soi, qui recoupe celle d’une Italie en partie, elle aussi, amnésique. Chaque nation a ses passés farouches et joueurs desquels elle s’accommode plus ou moins bien. Vichy chez nous s’appelle Fascisme par-delà les Alpes. Et l’enquête de Yambo est aussi celle d’un pays qui fut tout à la fois fasciné par le Duce et sa clique, habitué et résistant… Chaque famille a recomposé l’ambivalence des attitudes en son sein même et Yambo, frais émoulu de sa lobotomie post-traumatique, redécouvre en lui toutes ces identités mêlées. Dans un récit épique, magnifiquement narré, précipité par ces images qui font allègrement sauter les pages.

«Je n’arrive pas à m’abandonner, je veux savoir qui je suis. J’éprouve avec clarté une chose, tout de même. Les mémoires réaffleurées depuis le début de ce que je crois mon coma sont obscures, brumeuses, et se sont disposées en mosaïques, avec des morcellements» Quelle plus belle enquête que celle-là ?!...

Bruno Portesi
( Mis en ligne le 04/12/2006 )
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