L'actualité du livre
Pocheset Littérature  

Portrait du Gulf Stream - Eloge de tous les courants
de Erik Orsenna
Seuil - Points 2006 /  7 €- 45.85  ffr. / 252 pages
ISBN : 2-02-085958-0
FORMAT : 11,0cm x 18,0cm

Première publication en mars 2005 (Seuil - Cadre Rouge).

Des courants et des hommes

C’est l’histoire de la promenade d’un homme amoureux de la mer. Cet amour déchaîne sa passion littéraire comme le vent lance la mer à l’assaut de la côte. Et les mots de nous faire vivre cette promenade autour du monde, baie après baie, port après port, navire après navire, courant après courant. Le lecteur se laisse emmener au fil des pages à la recherche de la compréhension du monde et, grâce au charme de la langue maniée par Erik Orsenna, à la précision et à la profonde capacité de suggestion de ses descriptions, s’immerge dans cette aventure originale et originelle. Car il s’agit ni plus ni moins pour Erik Orsenna de revenir aux origines. Celles de sa vie, celles de notre Europe, celles de notre planète. Les trois se mêlent justement avec l’aide d’une science simple, vivante, en train de se faire, en nous démontrant que la curiosité est heureusement encore de ce monde. Curiosité ici d’un homme de lettres qui cherche à comprendre les contrastes climatiques qui l’ont interpellé pendant son enfance. Curiosité infinie des chercheurs de toutes les disciplines, de toutes les nations. Finalement, n’est-ce pas la curiosité qui rassemble les hommes et fait avancer l’humanité ?

La trame première de cette promenade, c’est l’histoire des courants. Les gros courants comme le Gulf Stream et ses avatars comme la Dérive Nord-Atlantique ; les «petits» mais ô combien mortels comme le Corryvreckan ou le Fromveur. L’auteur entame une longue marche afin de comprendre le fonctionnement de ce fameux Gulf Stream qui amène la chaleur des eaux tropicales jusqu’à la Bretagne des bains de sa jeunesse. Mais pour comprendre les courants, il faut connaître notre Terre et ses circulations d’air, de terre et d’eau. Erik Orsenna va donc être amené à parcourir le monde et nous dévoilera à chacune de ses étapes une clé de la compréhension de ce courant.

Ce livre est ainsi l’histoire des liens intimes qu’entretiennent, malgré des apparences fallacieuses, la terre, la mer et l’air qui, loin de s’opposer, fonctionnent dans une combinaison étroite que l’homme ne maîtrise encore que très imparfaitement. Pourquoi évoquer la Lune ? C’est elle essentiellement qui crée, par son attraction, les marées et les courants qui les accompagnent au premier rang desquels les classiques flux et reflux qui chaque année emmènent au large le touriste assoupi mollement sur son coussin gonflable. Pourquoi parler de la Terre ? Mais la dérive des continents est créatrice de courants en divisant les terres ou en les rapprochant, bref en introduisant de la rugosité dans l’espace maritime. Ne parlons même pas du climat et de la glace des pôles qui sont un élément proprement fondamental de la circulation océanique.

Tout ce qui nous est conté finalement, c’est l’histoire des aventures humaines et scientifiques pour comprendre l’océan. C’est Coriolis qui explique la rotation de l’eau dans l’évier qui se vide et donc le sens de la boucle décrite par le Gulf Stream ainsi que celles de ses contre-courants. Benjamin Franklin quant à lui établit une première cartographie de ce fleuve marin : ce qui l’a interpellé, ce sont les différences de temps de parcours entre l’Angleterre et les jeunes Etats-Unis dans un sens et dans l’autre. Difficile d’avancer quand on a le courant contre soi. Les pilotes des avions assurant les liaisons transatlantiques le savent bien car ils cherchent, ou évitent selon la destination, le «jet stream», ce puissant courant aérien qui est presque le pendant éolien du courant marin. C’est aussi Stommel, le «pape» de l’océanographie, et, par exemple, son explication de la dynamique verticale des courants par leur concentration en sel. Ainsi, le Gulf Stream, fortement chargé en sel suite à l’évaporation importante qu’il a subie dans les parages des tropiques, va plonger vers le fond de l’océan près du Pôle Nord car, une fois refroidi, sa densité sera bien supérieur à celle des eaux glaciales de l’Océan arctique. Bref, on assiste pas à pas à l’élaboration de notre compréhension de ce phénomène planétaire. Chaque recherche, chaque chercheur même amateur apporte une pierre à l’édifice qui est bien loin de ne reposer que sur l’océanographie. La science est bien une pour comprendre le monde.

C’est l’histoire, enfin, des hommes et de leur planète. Celle qu’ils ont pu vivre ensemble durant plusieurs millions d’années. Celle qu’ils ne vivront peut-être pas si l’homme ne se soucie pas un peu de ce qui l’entoure. Que le Gulf Stream se réduise et c’est l’Europe qui ressemblera au Grand Nord canadien si bien popularisé par Jack London. Certes nous n’en sommes pas là (pour ce qu’on en sait) mais Erik Orsenna nous a bien fait ressentir l’extrême complexité du fonctionnement de notre planète. L’homme doit-il réellement être un démiurge amateur ?

Enfin, l’humanité perce dans chacune des pages de ce livre. Chaque personnage prend corps. Chaque élément naturel est rapporté à sa connaissance humaine. Quelques belles pages illustrent par des mots dont la simplicité accompagne l’émotion, le devenir de certains de ces gens de mer qui possèdent une connaissance intime et parfois douloureuse des courants.

Rémi Luglia
( Mis en ligne le 16/06/2006 )
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