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Pocheset Littérature  

Espèces en danger
de Louis Bayard
10/18 - Domaine étranger 2005 /  10 €- 65.5  ffr. / 338 pages
ISBN : 2-264-04005-X
FORMAT : 11x18 cm

Planter sa graine…

Gageure existentielle : se reproduire quand on est homosexuel. Nick Broome, jeune attaché parlementaire au Congrès des Etats-Unis, s’est donné un an pour annoncer à la famille qu’il sera père. Parce que le désir d’avoir un enfant le tenaille - «… le petit garçon en parka, la petite fille avec les yeux de mon père - tous ces enfants que j’ai créés avec les axones et les dendrites de mon cerveau, et qui n’attendent que d’exister enfin» (p.268) ; parce qu’il se considère comme le seul des trois enfants Broome capable de perpétuer la lignée familiale : «Les Broome vont tirer leur révérence et couler, comme un nuage s’enfonce dans les eaux d’un lac» (p.88). Or Nick préfère les garçons, ce qui n’arrange rien à l’affaire… Espèces en danger, donc…

Ce roman de Louis Bayard aborde la question de l’homoparentalité – celle du désir d’enfant de manière générale -, et de ses affres. Même au pays de l’Oncle Sam, réputé plus libéral que le nôtre, devenir ce type de papa n’est pas si facile… Nick, pourtant la tête sur les épaules, un génome irréprochable, splendidement banal, court d’échecs en écueils : chaque haie à sauter sur ce parcours olympique est en fait un mur où il se cogne… Refusé, toujours poliment, par les banques de sperme au noms évocateurs, ayant croisé une éventuelle mère porteuse, finalement aliénée mais sœur d’un garçon au charme irrésistible – Joe, l’homme/enfant, l’âme-frère -, il avance à l’aveugle, allant de surprises en surprises… Car les rencontres ne sont pas tristes : les mères porteuses sont autant de cas sociaux, sans parler de ce chasseur de têtes – devrait-on dire d’«œufs» ?!... – taillé dans un bois véreux dont on fait les grands escrocs…

Une odyssée tragi-comique donc, qui parle de la difficulté de prouver sa norme quand on est homo, du fonctionnement souvent ubuesque de nos sociétés contemporaines, de la paternité en général… Beaucoup s’y retrouveront : les homosexuels frustrés comme les hétéros stériles en quête d’une descendance… D’une plume qui sautille, l’auteur déroule un roman qui se lit vite, peut-être un peu rébarbatif dans la succession des épreuves, mais jamais franchement ennuyeux. Un bon plaisir de lecture en somme, sans prétention, bienvenu pour rappeler, en ce beau mois arc-en-ciel, que le désir d’être père ou mère devrait se passer d’un doigt pointé sur une préférence sexuelle, histoire de lâcher un peu mieux, maintenant qu’on sait le faire, la bride de la biologie…

Bruno Portesi
( Mis en ligne le 13/06/2005 )
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