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Pocheset Littérature  

Acide sulfurique
de Amélie Nothomb
Le Livre de Poche 2007 /  5.50 €- 36.03  ffr. / 224 pages
ISBN : 9782253121183
FORMAT : 11 x 18 cm

Première publication en août 2005 (Albin Michel).

Acide affaire...

Une des particularités d’Amélie Nothomb est qu’elle est hors du temps. Pour preuve, ce roman a pour toile de fond la télé-réalité, alors que le sujet n’intéresse plus personne – ou plutôt qu’il s’est banalisé, terriblement banalisé – une fois l’hystérie «loftienne» de l’an 2000 passée, et tout son corrélat d’essais alarmistes, d’articles intello-psycho-démagogiques, d’ouvrages catastrophistes et de témoignages vulgaires (une manne pour l’édition et la presse françaises). Au moins, on ne pourra pas reprocher à la Belge de surfer sur les sujets «tendance» ! L’émission décrite par Nothomb s’appelle «Concentration» et son principe est simple, puisqu’il est ultime : des personnes enlevées au hasard sont enfermées dans un camp totalitaire, soumises à la brutalité de kapos castés (et parfois castrés, puisqu’on y trouve des femmes), sous le regard des caméras de télévision.

Comme point culminant de ce programme scandaleux, qui bat, comme de bien entendu, toutes les audiences, on trouve, comme souvent dans les romans de Nothomb, un couple de femmes antinomique, passionnel et manichéen : une jeune et belle kidnappée, Pannonique, et une kapo bête, laide et méchante, Zdena. Cette dernière s’éprendra follement de la sublime martyre, sorte d’icône virginale des prisonniers… Régulièrement, les kapos décident ceux des prisonniers qui seront conduits à la mort. Mais, devant le succès de l’émission, les producteurs finissent par décider que c’est le public qui choisira lesquels vivront et lesquels périront. Des jeux de cirque virtuels, en quelque sorte, au cours desquels la télécommande a prolongé le pouce. Afin de sauver Pannonique de l’enfer, Zdena propose à cette dernière de s’offrir à elle. Et voilà la parfaite jeune femme, devenue égérie de son groupe de prisonniers et starifiée par les téléspectateurs et les médias, devant un dilemme sacrificiel : sa vertu ou la liberté, se soumettre ou résister…

Bien sûr, Acide sulfurique n’est pas le premier roman à mettre en scène un parcours christique, fort bien décrit par ailleurs : ou comment Pannonique fait la lumière dans l’esprit de son bourreau, répand le pardon et l’amour autour d’elle, accepte la souffrance sans broncher et puise sa révolte dans son âme... De même, les stéréotypes nothombiens sont maintenant tellement récurrents qu’on les remarque à peine : la beauté contre la laideur, le rituel sado-masochiste qui sous-tend le désir sexuel, l’effacement spatio-temporel de l’intrigue (où ? quand ? aucune importance), etc. Là où Amélie Nothomb se révèle plus percutante, c’est devant sa critique résolument acide de la démocratie. L’émission «Concentration» lui donne l’occasion de fustiger la bêtise du peuple, qui est à l’origine de ce genre de programmes, les médias, qui relaient tout et son contraire en fonction des tendances, puis enfin les politiques, redoutablement falots et absents du débat.

Nothomb prend donc le problème à rebrousse-poil, en vouant plus aux gémonies ceux qui sont avides de voyeurisme et d’abjection que ceux qui leur en fournissent la matière première. Par conséquent, si la plupart des êtres humains sont incapables de beauté, de moralité et de noblesse, pourquoi ne pas les mépriser ? Seuls quelques élus – Pannonique et son soupirant, sorte de Primo Levi romanesque – surnagent au-dessus du lot… En quelque sorte, Acide sulfurique serait presque un panégyrique d’une certaine aristocratie… Voilà notre Amélie devenue politiquement incorrecte. Pour ceux qui en doutaient…

Caroline Bee
( Mis en ligne le 02/05/2007 )
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