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Pocheset Littérature  

Toute passion abolie
de Vita Sackville-West
Le Livre de Poche 2009 /  6 €- 39.3  ffr. / 220 pages
ISBN : 978-2-253-12627-0
FORMAT : 11,0cm x 18,0cm

Traduit de l'anglais par Micha Venaille.

Première publication française en septembre 2005 (Autrement).


Une maison à soi

Poétesse et romancière anglaise, née en 1892 dans le Kent, Vita Sackville-West, célèbre pour ses amours saphiques, demeure à jamais l’inspiratrice d’Orlando, l’un des chefs-d’œuvre de Virginia Woolf. Deux ans après Une Chambre à soi, essai capital, plaidoyer féministe dans lequel son amie se penche avec audace sur la relation entre les femmes et la fiction, soulignant les obstacles que rencontrent les artistes de sexe féminin, Vita publie Toute passion abolie, roman qui développe des idées similaires et défend avant tout le droit de l’héroïne à être elle-même.

Suite au décès de son époux, Henry Holland, brillant esprit et grand homme politique, Lady Slane, gracile octagénaire entend «devenir complètement égoïste». Au grand dam de ses six enfants qui, tout en la considérant comme un fardeau, voient déjà en elle une source de revenus complémentaires. Après soixante-dix ans de soumission et d’effacement dans la plus pure tradition victorienne, la vieille dame se sent enfin libre et veut savourer cette délicieuse indépendance dans l’endroit de ses rêves - cette petite maison à Hampstead, repérée trente années auparavant et qui l’attend, elle en est certaine. L’excentrique propriétaire, M. Bucktrout, accepte d’ailleurs avec enthousiasme cette locataire insolite, visiblement capable de respecter son «espace personnel de folie». Accompagnée de sa servante française, Genoux, Lady Slane emménage dans son ultime demeure, coupe les ponts avec sa famille afin d’entreprendre un long retour sur elle-même.

Au cours de ce monologue intérieur, elle revient sur le désir fou que son mariage a brisé, celui d’être peintre, auquel elle a renoncé parce qu’«elle n’était pas féministe, étant trop raisonnable pour se permettre le luxe d’un impossible martyre». Pourtant l’interrogation sur le bien-fondé de ce sacrifice reste vivace. De sa nature d’artiste vient aussi un décalage peu surprenant : «Elle avait parfois éprouvé la sensation de vivre dans une humanité plongée dans un monde d’illusions, embarquée dans des rêves à la fois dérisoires et dangereux… Le hasard seul avait fait que les hommes avaient pris l’or et non la pierre comme symbole de réussite, qu’ils bâtissaient leur vie sur l’esprit de compétition et non sur la tendresse.»

Une philosophie que partagent trois vieux messieurs «inscrits avec elle pour la dernière valse, celle qui précède l’instant où l’orchestre va se taire à jamais». Seuls autorisés à pénétrer dans la nouvelle intimité de Lady Slane, ils savent l’entourer d’une affection empreinte de respect. M. Bucktrout, l’artisan, chargé de rénover la maison, M. Gosheron et M. FitzGeorge, un milliardaire, collectionneur d’objets d’art, autrefois amoureux fou de la trop belle épouse du comte de Slane. Vita Sackville-West analyse les sentiments humains avec une infinie subtilité – qu’ils soient purs ou ternis par l’hypocrisie et l’opportunisme comme ceux qui animent la plupart des membres de la famille de Lady Slane.

Au-delà de la fiction, Toute passion abolie propose une formidable méditation sur le statut et le rôle de la femme à l’époque victorienne et s’achève sur une note plutôt optimiste. Des pages émouvantes au fil desquelles, ayant su reconnaître en son arrière petite-fille une digne héritière, la vieille dame indigne l’entraîne sur le chemin de la liberté.

Le mari de Virginia Woolf, Leonard, éditeur de Toute passion abolie considérait qu’il s’agissait du meilleur roman de Vita Sackville-West. Face à ce régal d’intelligence, on ne peut douter qu’il eût raison.

Florence Cottin
( Mis en ligne le 28/01/2009 )
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