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Pocheset Littérature  

Trois fermiers s'en vont au bal
de Richard Powers
10/18 - Domaine étranger 2006 /  10 €- 65.5  ffr. / 515 pages
ISBN : 2-264-04145-5
FORMAT : 11,0cm x 18,0cm

Traduction de Jean-Yves Pellegrin.

Nous n’irons plus danser, les lauriers sont coupés…

Né en 1957, Richard Powers est aux Etats-Unis considéré comme l’un des grands romanciers de sa génération. Écrit en 1985, son premier roman, Trois fermiers s’en vont au bal, n’a été traduit en français qu’en 2004 (éditions du Cherche Midi), longtemps après l’Italie, les Pays-Bas ou le Japon… Aussi les lecteurs français peuvent-ils le lire au moment même ou presque où est publié son dernier texte, Le Temps où nous chantions, unanimement salué par la critique.

Informaticien, Richard Powers est brusquement tombé dans la littérature en regardant une photo d’August Sander ; une photo intitulée «Jeunes paysans». Trois fermiers s’en vont au bal est l’interprétation personnelle que nous donne Richard Powers du destin de ces trois jeunes gens, cravatés, impeccables, élégants et gauches à la fois, qui, d’une route boueuse, tournent leur regard vers le photographe qui les saisit dans l’instant. Texte absolument inclassable, qui relève de plusieurs genres littéraires : l’épopée picaresque, le roman burlesque, l’essai ; qui alterne des moments drôles, des notations ironiques, des longueurs… On se perd dans ces récits éclatés et imbriqués construits par le narrateur. A partir de la photo de Sander, Powers reconstruit les vies des trois jeunes paysans happés par la guerre de 14 (qu’il baptise Peter, Adolphe et Hubert), nous naviguons sans cesse entre les Etats-Unis des années 80 et l'Europe (Allemagne, Hollande) de la première guerre. Des récits disjoints qui évoluent en fonction des témoins et des narrateurs et finissent par se nouer dans une ultime pirouette ; marché de dupes pour qui se laisse bercer par ses espoirs et ses illusions, la vie peut-être aussi réjouissante ou chaleureuse dans les yeux et par la grâce d’une jolie femme, surtout si elle est rousse !

De grandes figures dominent le récit : Henry Ford, August Sander, que les jeunes paysans rencontrent l’un et l’autre sur fond de guerre et de paix, et autour d’eux toute une galerie de personnages : les femmes, la rousse éblouissante, Alison la déconcertante, la mère, madame Schreck, Alicia... Sarah Bernhardt. Personnages qui se répondent au-delà des générations, sorte d’humanité éternelle au delà des guerres et des océans.

Nous suivons les aventures du héros contemporain, Mays, et celle du jeune Peter de 1914, perdus durant toute une partie du roman, avant que le sens ne s’installe progressivement, pour déboucher sur la dérision, la vanité des illusions et des espoirs, l’immense marché de dupes, somme toute, à quoi peut se résumer un destin humain. Un fil conducteur : la photo, qui survit au passé, jaunie, brisée, mais conservée ; photo que l’on croit unique et dont on découvre qu’elle peut se démultiplier en plusieurs exemplaires, comme la vie et le regard que l’on porte sur elle, simple en apparence et en réalité énigmatique, qui se dérobe autant qu’elle s’offre. La vie qui ressemble aux comptines enfantines dont elle a l’étrangeté, l’absurdité, et le côté charmant… mais aussi à la littérature, et chaque chapitre est précédé d’une citation en exergue (Elisabath Gaskell, Freud, Proust, etc.)

Une construction savante (trop peut-être ?) qui fait souvent penser à James Joyce entre autres. Un auteur étonnant qui mérite d’être découvert.

Marie-Paule Caire
( Mis en ligne le 24/05/2006 )
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