L'actualité du livre
Pocheset Littérature  

La Chambre de la Stella
de Jean-Baptiste Harang
Le Livre de Poche 2008 /  5 €- 32.75  ffr. / 160 pages
ISBN : 978-2-253-12012-4
FORMAT : 11,0cm x 18,0cm

Première publication en février 2006 (Grasset).

A père taiseux, fils bavard

Journaliste à Libération, Jean-Baptiste Harang a déjà publié quatre romans chez Grasset. La Chambre de la Stella, son cinquième, a reçu le prix du livre inter 2006. Dans ce récit, l'auteur part à la chasse mélancolique aux souvenirs d’enfance pour retrouver un père disparu à quatre-vingt-sept ans, sans jamais dire le secret de sa naissance. Enfant bâtard dans une région âpre et dure, la Creuse, Raymond Quisserne n’a été reconnu qu’à dix ans par l’homme qui épousa sa mère à la veille de son départ à la «grande guerre». Devenu Roger Harang, il construira une vie, une famille, avec une épouse aimée, quatre enfants, dont Jean-Baptiste est le second. Rang dans la fratrie qui aujourd’hui encore est une douleur violente, qui éclate dans la phrase mal construite (ou mal relue par l’éditeur ?), à laquelle manque un verbe et une ponctuation, où il décrit sa naissance : «Je fus jeté sur terre dans la salle à manger de la maison du Riot, pendant que le ressemblant, les boucles blondes légères au vent léger, empêtré comme on s’y mouche dans le pantalon à pinces de notre père qui lui construisait une brouette à sa taille dans la garage, en attendant que naissance se passe.» Quel contraste avec la naissance de l’aîné, «le ressemblant», Paul, naissance douillette à l’hôpital d’un enfant désiré. Cet aîné incapable d’arriver à l’heure à l’enterrement du père.

Autour de la maison des grands parents maternels, Jean-Baptiste Harang tisse ses souvenirs d’enfance pièce après pièce, se fondant sur sa seule mémoire, sans revenir sur les lieux, refusant les traces matérielles. Récit de douleur, autour d’une histoire familiale comme il y en eut tant dans les campagnes des siècles précédents : fille-mère, isolée, qui part à la ville, enfants tristes, à l’élégance d’ailleurs, père absent. Le livre commence par un autre abandon, celui d’un voisin que le père du narrateur dépendit après son suicide, dans le silence. La douleur essentielle est au long des pages celle qui surgit du silence, silence interprété comme non-amour, refus d’aimer, ce qu’il n’est peut-être pas : «J’aurais aimé aimer ma mère». Contre ce silence, l’auteur se défend en écrivant, ambidextre grâce à une institutrice en avance sur son époque qui se refusa à «contrarier» l’enfant gaucher. Une enfance triste, envoyé chez la grand-mère de Dun le Palestel, puis en pension, exils qui pour lui sont la preuve absolue qu’il était l’enfant surnuméraire, celui dont on se débarrasse, qui n’a pas de place dans le cocon familial. Lui qui souffre tant de ne pas ressembler à son père, le retrouve peut être ainsi dans cette sensation d’être en trop ! Passent aussi dans le livre les figures de la grand-mère, du cousin Arthur, de la petite société de Dun le Palestel, les vieilles femmes, les commerçants, toute une micro société décrite avec finesse et précision vient peupler les murs de la mémoire.

Face à lui même, Jean-Baptiste Harang se délivre de son enfance, et nous entraîne aussi dans la France des années 50 qui ignorait qu’elle entrait dans les «trente glorieuses» ; France provinciale, austère, économe - pour ne pas dire avare - qui sait le prix de chaque chose, France des villages et bourgs peuplés, y compris d’une gare sans train dans laquelle le grand père est «correspondant SNCF». Un récit touchant dans sa quotidienneté et le ton de confidence triste qui hypnotise le lecteur. Ceci dit, si une citation de Renan ouvre le texte («S’imaginer que les menus détails sur sa propre vie valent la peine d’être fixés, c’est donner la preuve d’une bien mesquine vanité»), le sous titre de la page de garde reste Roman...

Marie-Paule Caire
( Mis en ligne le 07/07/2008 )
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024
www.parutions.com

(fermer cette fenêtre)