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Pocheset Littérature  

Artefact - Machines à écrire 1.0
de Maurice G. Dantec
Le Livre de Poche 2010 /  7.50 €- 49.13  ffr. / 540 pages
ISBN : 978-2-253-12816-8
FORMAT : 11cm x 18cm

Première publication en août 2006 (Albin Michel)

Le langage de la machine

Septième roman du sulfureux Maurice G. Dantec, Artefact n’échappait pas en 2007 à la règle de la sélection de la rentrée littéraire et faisait partie des livres dont on a parlé (aujourd'hui en format poche). Et pour la troisième année consécutive, le lecteur avait droit à son Dantec dans la pile des 700 romans programmés pour septembre. Marketing oblige surtout depuis qu’il est publié chez Albin Michel. Pour l’occasion, il daignait quitter son Canada d’adoption pour Paris afin de faire connaître à ses lecteurs français son dernier opus. Et qu’en disait-il ? Pas grand-chose si ce n’est qu’il est composé de trois nouvelles (Trois romans précise-t-il…) dont l’une, la seconde, a pour titre Artefact, et qu’il s’agit d’un roman trinitaire ayant pour thème central l’idée d’identité et d’altérité.

Petite précision sémantique, un artefact est, en gros, un phénomène artificiel que l’on peut rencontrer au cours d’une expérience portant sur un phénomène naturel. En cela Dantec tente d’explorer dans son livre cette «illusion réelle» qui pèse sur l’identité de l’homme, lui-même torturé par son dédoublement psychique. A première vue, l’idée est alléchante sauf qu’à la lecture de ces 500 pages, le lecteur reste quelque peu sur sa faim.

Sur les affiches du roman, placardées un peu partout dans Paris, on pouvait lire : «Le roman le plus visionnaire de cette rentrée». Encore une preuve fameuse que la publicité n’a que faire de la littérature et qu’elle vend un livre comme elle le ferait pour un beefsteak ! Car s’il y a un livre qui ne soit pas visionnaire, c’est bien celui-là ! Dantec fait bien œuvre de fiction mais certainement pas de science-fiction au sens propre du terme. D’ailleurs, il définit lui-même son œuvre comme étant une «spéculative-fiction». Chacune des trois nouvelles se passe à notre époque comme Le Monde de ce prince ou encore Vers le nord du ciel dont l’action se déroule de 2001 à 2007. Dantec règle ses comptes avec l’époque et les instances dirigeantes de l’occident plus qu’il ne se projette dans un futur lointain ou cybernétique, même s’il décrit un monde en proie au chaos le plus total.

Si l’auteur reste dans la lignée de ce qu’il a précédemment publié, optant plutôt pour le thriller métaphysique à l’heure où l’autofiction fait fureur et débat, ce qui le singularise assez nettement de ses contemporains, on peut tout de même lui reprocher d’être parfois aussi mauvais dans cette catégorie que ceux qui se débattent dans l’autre ! Et ce tout dernier livre, particulièrement raté, le montre assez efficacement.

Tentons d’y voir clair : La première nouvelle met en scène une espèce d’humanoïde, vivant depuis des siècles dans notre monde en vue de l’observer et d’y juger les hommes, qui décide le matin du 11 septembre 2001 de se rendre au quatre-vingt-dixième étage de la tour Nord du World Trade Center avec l’ambition d’y sauver une petite fille des gravas et de renaître à travers ce geste sacrificiel et salvateur. Ainsi, il pourra rejoindre avec l’enfant le Vaisseau-Mère qui les attend, et reprendre son état d’androïde, dépité qu’il est depuis des centaines d’années par la barbarie de la civilisation humaine. S’ensuit une course effrénée à travers les Etats-Unis afin d’échapper à la police américaine qui le poursuit pour des raisons assez obscures.

La seconde nouvelle inspecte les recoins de la création littéraire mais aussi du dédoublement fatal à chaque écrivain qui ne sait si c’est lui qui crée en écrivant, ou s’il est la funeste victime de Dame Littérature qui le pousse à n’être que le témoin de ce qui est produit. Écrire ou être écrit, telle est la question chez Dantec. S’ensuit une série de réflexions et d’interrogations propres au travail de l’écrivain. L’ennui, c’est qu’à force d’anaphores gratuites, de redondances cinglantes et de pseudo-métaphysique de comptoir, le lecteur se perd et n’en ressort pas grandi sur ce point.

Enfin, le troisième roman décrit les agissements barbares et sadiques d’un psychopathe qui crie vengeance au nom d’une cause qu’il croit bonne et qui va à l’encontre des «valeurs» défendues par le système occidental actuel. A travers une série de lettres envoyées à la police québécoise, il décrit de manière complaisante ses meurtres tout en mettant sur Internet les exactions atroces qu’il commet. Islamistes intégristes, néo-nazis, tueurs pédophiles, juges, gens du spectacle, universitaires, promeneurs de pitbulls, tout y passe au nom de la loi du talion. On se croirait dans le film Magnum Force de Ted Post, sauf que Clint Eastwood, avec plus de raison et de subtilité, arrêtait à son tour les tueurs de tueurs, et que ces derniers ne procédaient pas à la torture gratuite pour punir les méchants. Partant du principe qu’il agit comme le diable, lui-même créant ces êtres abjects qu’il faut punir, plus rien n’a de sens, et le crime reprend ses droits dans un tour de force littéraire quelque peu curieux.

Bien évidemment, nous sommes dans un roman (d’où la permissivité du genre) et si la question du dédoublement est la passerelle entre ces trois textes, on attendait de Dantec un peu plus de sérieux. On voit bien quels sont ses obsessions, son univers, ou ses révoltes. En bon catholique limité qu’il est (il l’avoue lui-même), la fiction lui permet de toucher de la plume les notions qui le traversent : le sacrifice, le mépris de cette civilisation décadente et de la barbarie postmoderne, la technologie y participant, mais aussi le ressentiment, la vengeance, les représailles, et le pardon. Dantec, comme d’autres écrivains, est en guerre, et cela se ressent même à travers son œuvre romanesque.

Du point de vue du style, l’écrivain, là non plus, ne convainc pas, et c’est assez surprenant lorsque l’on voit la qualité littéraire et documentaire de son journal métaphysique qui parait depuis quelques années. Dans la première nouvelle par exemple, on n’échappe pas aux poncifs lexicaux du genre cybernétique, qui à la longue deviennent pompeux : «Nos technologies de transmission connectent directement les cerveaux entre eux, artificiels comme naturels, par un canal supradimentionnel qui traite les informations une infinité de fois plus vite que la lumière. En plus de mes analyses émises régulièrement vers le centre de communication, ce que j’expérimente chaque jour, la conscience quantique du Vaisseau-Mère le vit en même temps que moi, à une pico-seconde près.»

Dans le second texte, il faudrait tout citer tant les formules sont redondantes, faciles, alambiquées, et faussement compliquées. L’anaphore étant quelque peu surexploitée. Voici deux exemples dont le choix a été cornélien tant ils abondent dans le texte :

«Je.
Enfin.
Je est là. C’est moi. Je suis je. Je suis connecté au processus, je suis le processeur en activité. Je suis moi.
Je suis revenu en moi-même, je suis redevenu ce que je suis, et je suis à nouveau ce que je deviens.
Je.
Enfin.»


«Je est un autre», La Lettre du voyant de Rimbaud digérée à la sauce Dantec en quelque sorte…

Ou encore lorsque Dantec se prend la tête avec sa machine à écrire (à noter que pour un auteur de science-fiction adepte du langage technologique, la machine à écrire est quelque peu archaïque !) : «Maintenant concevez une dilatation hypersphérique de vous-même, vous y êtes presque parvenu à plusieurs reprises projetez-vous en chaque point variable de cet espace simultanément et représentez-vous comme la mise en séquence de tout ce qui est synchronique, vous êtes la narration de vous-même, vous êtes donc en expansion supercritique, comme le big-bang à ses premières minutes, d’ailleurs vous venez de le taper sur le clavier.»

Enfin, la troisième nouvelle est plus problématique car elle met en scène de façon ultra complaisante les agissements barbares d’un tueur sadique qui tue une à une des personnalités dont il considère que leurs crimes (physiques ou idéologiques) restent impunis malgré leur infamie. Le tueur-narrateur raconte avec un sens du détail certain les actes de tortures sadiques qu’il met en œuvre pour effacer définitivement ces êtres de la planète. Chaque crime atroce relève d’un scénario conceptualisé par ses soins, qui détaille de manière clinique à la fois le processus de mise à mort et la destruction de chaque corps, sans oublier les souffrances atroces endurées par ses victimes. Or si nous savons pertinemment que dans le genre romanesque, le narrateur n’est pas l’auteur, et que ce qu’il peut penser ne relève pas forcément des positions de ce dernier, nous savons aussi que Dantec fait connaître depuis longtemps ses pensées sur un certain nombre de sujets actuels, et qu’il s’agit bien de cela ici. Du coup un certain rapprochement peut se faire entre les dires du narrateur et les positions politiques de l’auteur, ce qui ferait de ce texte, une sorte de vengeance fantasmée à travers l’écriture, un exutoire.

De ce fait, le lecteur, bien en peine de s’intéresser aux descriptions morbides des exécutions en série (Après L’Inspecteur Harry, on nage parfois en pleine série Z dans l’exhibition des crimes), comprend assez vite que ce texte est baigné de sadisme gratuit, de descriptions chirurgicales faussement horrifiques, et surtout d’idées extrêmement douteuses sur les problèmes que rencontre notre époque. Un exemple concret à travers l’extrait d’une lettre qu’envoie notre tueur fou à la police locale : «L’ensemble de mon petit laboratoire nomade y est à sa place, je ne suis que le Prince adjoint de ce monde, mais ici-bas, je suis le roi de la mécanique générale, je suis le maître absolu de la technique, avec un rien je fais un tout, avec une fleur je crée un poison, avec un stylo j’improvise une arme, avec un arbre je monte une potence, avec une forêt je fabrique une fête foraine, je veux dire un camp d’extermination.» Notre méchant bonhomme reproduit en pire les exactions de ses camarades ; ce qu’il assume pleinement, car il n’est pas là pour faire justice mais pour se venger de cette civilisation abjecte. En mettant en scène ce tueur, il en fait un sauvage, au même titre que ses victimes, elles-mêmes fort différentes les unes des autres. Or cela, Dantec le sait très bien (peut-être pour éviter un procès ?), d’où la nomination de son héros «frère du diable» pour se déculpabiliser et ne pas cautionner les agissements de son personnage. Du coup, la lecture de ce texte sans aucune réflexion profonde sur ces questions de société (Intégrisme religieux, xénophobie, pédophilie, libéralisme, technologie, société de spectacle, etc.) n’est qu’un ramassis d’actes ignominieux décrits par un narrateur extrêmement fier de ses conceptions techniques menant ses victimes à la potence (à la fin du roman, c’est le chaos complet qui règne sur la planète mise à feu et à sang !). Dantec y va directement au lance-flamme et massacre tout sur son passage, ce qui réduit immanquablement son propos et envoie directement l’ouvrage aux librairies pour adolescents en manque de sensations morbides et de dialogues sans fin sur le Bien et le Mal. Pour éviter tout de même les clichés du genre, Dantec clôt son roman sur la rédemption, montrant en quelque sorte un revirement quelque peu religieux, privilégiant le pardon et la grâce rendus à l’humain, et cela grâce à l’ange qui vient sermonner notre tueur.

Dantec a écrit finalement un roman de politique fiction, mais ne parvient pas à se démêler des sempiternels codes du genre de la science-fiction qui font perde parfois toute crédibilité littéraire au texte. La réflexion est aseptisée par l’intrigue violente et le voyeurisme de certaines scènes. Se référer plutôt au Dantec diariste si l’on veut percevoir de façon plus nette sa pensée.

Jean-Laurent Glémin
( Mis en ligne le 26/10/2010 )
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