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Qu'ai-je donc fait
de Jean d\' Ormesson
Pocket 2009 /  6,90 €- 45.2  ffr. / 333 pages
ISBN : 978-2-266-19411-2
FORMAT : 11cmx18cm

Première publication en octobre 2008 (Robert Laffont)

L'auteur du compte rendu : Essayiste, romancier, Jean-Laurent Glémin est titulaire d’un troisième cycle en littérature française. Ayant travaillé notamment sur les sulfureux Maurice Sachs et Henry de Montherlant, il se consacre aujourd’hui à l’écriture de carnets et de romans. Il n’a pas publié entre autres Fou d’Hélène, L’Imprésent, Fleur rouge, Chair Obscure, Continuer le silence.


Mémoires avortés

À chaque parution d’un livre du célèbre académicien, c’est pareil, on finit déçu. Pourtant Jean d’Ormesson (né en 1925) parle bien de ses livres, avec humour et distanciation, ironie et saveur. Mais le talent n’est pas oratoire dans l’affaire et bel et bien littéraire. Dans cet ouvrage autobiographique, un de plus en comptant le terrifiant C’était bien publié en 2003, l’idée est de raconter de manière fragmentée et partielle quelques savoureux chapitres de son existence tout en développant des grandes questions métaphysiques. Le genre des mémoires est tellement large qu’il permet des divagations permanentes sur la littérature, l’histoire, la nature, la géographie, mais aussi la création, Dieu, la science, la philosophie et quelques grandes idées qui alimentent son œuvre depuis un demi-siècle.

Car Jean aime la contradiction, il s’y baigne et la défend. Chateaubriand, son maître, est de toutes les pages, sans oublier les grands classiques, Montaigne, Racine, Molière, Voltaire, Péguy, Aragon ; bref, Jean aime tout le monde. Plus on avance dans la lecture et plus ses préoccupations le rapprochent de son passé. Fils d’ambassadeur, élève doué mais paresseux (là-dessus, on est exaspéré ; on ne croit pas une seconde à ces parcours d’intellectuels brillants, aux dents longues, issus des plus grandes écoles, reçus aux concours les plus prestigieux, mais qui se vantent d’avoir été des cancres paresseux !), soucieux de recomposer l’arbre généalogique et de préserver par écrit quelques noms qui déjà fleurissent dans un oubli certain. Cela donne des anecdotes peu tranchantes, des chapitres d’une brièveté qui flirte avec la facilité, et une vision souvent simpliste du style : «D’où viens-je, où vais-je, dans quel état j'erre ?»

Simple plaisir de l’évocation ou volonté d’aller dans la confidence, les pages se suivent (et se ressemblent) sans réelle cohérence, si ce n’est chronologique, et égarent le lecteur dans la gratuité d’un chapitre ou la présence autoritaire d’un fragment. Et au final, on s’en sort avec ce genre de sentence : «L’amour est ce qui se passe entre deux êtres qui s’aiment». Pour un agrégé de philosophie, on aurait aimé des déclinaisons plus poussées. Entre distance du vieux sage (qui donne un moment des conseils à un jeune écrivain, conseils qu’il n’a pas vraiment suivis…) et volonté d’attendrir le lecteur, d’Ormesson a produit un livre malheureusement inutile qui sent la réédition fortuite d’autres textes déjà publiés.

Certes, le personnage est sympathique et n’a plus grand-chose à prouver. Écrivain, il continue d’écrire, et on le comprend. D’ailleurs, cette sorte d’anthologie de ces brefs moments qui constituent une existence, se lit sans déplaisir, mais on reste sur sa faim, le regard scrutant, entre deux paragraphes, l’instant littéraire qui fera passer d’Ormesson parmi les grands écrivains du XXe siècle (ce qu’il dément, par fausse modestie évidemment – qu’est-il devant Chateaubriand ou Montaigne ?, ne cesse-t-il de répéter). Comme un boulanger qui ne rechignerait pas à proposer avant fermeture quelques baguettes de pain en bon artisan qu’il est, d’Ormesson écrit ses derniers livres ainsi, parce que c’est son métier et qu’il le pratique depuis bien longtemps.

Même cet amour perdu, en la personne de C., révélé un demi-siècle plus tard, et qui obsède encore l’écrivain, n’est pas approfondi, juste évoqué ; alors à quoi bon ? D’Ormesson entreprend de raconter son itinéraire, comme il le dit, mais reste bien trop souvent elliptique, bref et vague. Ce qui lui confère une espèce de posture secrète mais peu intéressante au final.

Que reste-t-il après la lecture de ces mémoires contrastés ? Une succession d’anecdotes, de réflexions qui frisent le catalogue, de questions naïves sur la création du monde ou la théorie du Big Bang et surtout une volonté persistante de se trouver dans la contradiction, du genre : je suis heureux mais je souffre. D’ailleurs, d’Ormesson se piège lui-même en écrivant un paragraphe faussement modeste et véritablement limité : «Je n’écris, pour ma part, ni un roman ni des Mémoires. J’essaie de comprendre le peu que j’ai fait et comment tout ça s’est emmanché. Je n’écris pas pour passer le temps ni pour donner des leçons. Je n’écris pas pour faire le malin ni pour ouvrir, comme ils disent, des voies nouvelles à la littérature. Pouah ! Je n’écris pas pour faire joli ni pour défendre quoi que ce soit. J’écris pour y voir un peu plus clair et pour ne pas mourir de honte sous les sables de l’oubli». Mais au final, en effet, qu’as-tu fait, Jean ?…

Jean-Laurent Glémin
( Mis en ligne le 20/11/2009 )
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