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Faut-il manger les animaux ?
de Jonathan Safran Foer
Seuil - Points 2012 /  7.70 €- 50.44  ffr. / 388 pages
ISBN : 978-2-7578-2693-5
FORMAT : 11cm x 18 cm

Première publication française en janvier 2011 (L'Olivier)

Traduction de Gilles Berton et Raymond Clarinard


Une industrie carnassière

Faut-il manger les animaux ? Sachant que l'essai du jeune romancier américain Jonathan Safran Foer est avant tout une enquête sur les conditions de vie et de mort des animaux d'élevage destinés à nos assiettes, on s'imagine que la réponse est courue d'avance : non. Un «non» horrifié, révulsé par la réalité des élevages industriels qui fabriquent à la chaîne des bêtes Frankenstein, difformes, mutilées, bourrées d'antibiotiques, souillées de matière fécale et rendues folles de souffrance. Et bien sûr, au terme de ses trois années de recherches sur le sujet, l'auteur fait le choix de devenir végétarien. Pourtant son ouvrage-choc est bien plus complexe qu'un plaidoyer contre la malbouffe industrielle et pour des choix alimentaires individuels aussi informés que celui de l'auteur.

Car Jonathan Safran Foer, romancier révélé par Tout est illuminé (2002), a fait le récit d'une quête intimement personnelle, mêlant souvenirs d'enfance et réflexions philosophiques pour aboutir à un choix qui ne vaut, dit-il, que dans le contexte de sa propre vie de nouveau père. C'est en effet à la naissance de son fils que Foer réalise qu'il va faire des choix alimentaires pour lui, des choix qui vont au-delà de la simple nourriture, car lorsqu'on parle de repas familiaux (encore plus lorsque la grand-mère qui les préside est une Juive d'Europe de l'Est, rescapée de l'Holocauste), on touche à quelque chose de profond, concernant notre identité, notre origine, nos valeurs.

A partir de cet élan initial, Jonathan Safran Foer interroge méticuleusement chacune des dimensions de nos rapports avec les animaux que nous mangeons. Pourquoi faisons-nous passer à la casserole les cochons plutôt que les chiens (du moins en Occident), alors que le futur bacon est aussi intelligent et capable d'émotions que nos toutous ? Comment avons-nous construit le mythe du «consentement des animaux domestiques» pour justifier le fait de manger d'autres animaux ? Un monde végétarien capable de nourrir des milliards d'hommes est-il un fantasme ?

Surtout, Foer explore le monde complètement dément de l'industrie agro-alimentaire, où la logique du profit a créé des conditions de vie atroces pour les poulets, vaches, cochons et poissons qui y sont élevés. En s'appuyant sur ses propres visites secrètes mais aussi sur des témoignages d'ouvriers, il décrit l'entassement des animaux dans des espaces minuscules, la «soupe fécale» dans laquelle ils nagent (et qu'ils absorbent), l'abattage où ils sont dépecés parfois encore vivants. Données scientifiques à l'appui, il explique aussi comment l'élevage industriel pollue sols et rivières et crée les conditions de dangereuses pandémies de grippes aviaires ou porcines transmissibles à l'homme.

La lecture de certains passages est dérangeante, mais nécessaire. Certes, ses recherches concernent l'industrie des États-Unis, mais ne nous leurrons pas, les conditions sont comparables en Europe. Alors, doit-on pour autant devenir végétarien, voire végétalien en refermant cet essai ? Non, car le salut existe : il est possible d'être un «carnivore éthique», dit Foer, si l'on choisit de consommer de la viande venant de chez les éleveurs traditionnels, véritables héros de ce livre. Dans leurs élevages artisanaux, les dindes, vaches et autres futurs steaks coulent de longs jours heureux, gambadant à l'air libre, jusqu'au jour où l'éleveur, la larme à l'œil, les fera abattre. En effet, pas même celui qui respecte ses bêtes n'échappe au malaise inhérent au fait de les tuer. En nous obligeant ainsi à regarder en face comment sont produites les protéines de nos dîners, Jonathan Safran Foer ne peut laisser personne indifférent.

Andréa Davoust
( Mis en ligne le 12/03/2012 )
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