L'actualité du livre
Pocheset Histoire  

Le Bureau de poste de la rue Dupin - Et autres entretiens
de François Mitterrand et Marguerite Duras
Gallimard - Folio 2012 /  5.30 €- 34.72  ffr. / 185 pages
ISBN : 978-2-07-044624-7
FORMAT : 11cm x 18cm

Préface de Mazarine Pingeot

Première publication en janvier 2006 (Gallimard)


Universalisme présidentiel et nombrilisme filial

Entre juillet 1985 et avril 1986, François Mitterrand et Marguerite Duras se retrouvèrent à cinq reprises à l’initiative de Michel Butel, directeur de L’Autre Journal. Ces entretiens, parus presque immédiatement dans l’hebdomadaire, sont publiés par les éditions Gallimard en 2006, à présent en poche chez Folio.

Le premier entretien est avant tout consacré aux souvenirs de guerre, de résistance des deux protagonistes. En effet, François et Marguerite se rencontrent en 1943, lorsque Robert Antelme, le mari de Marguerite et son petit cercle entrent en contact avec Morland-Mitterrand qui dirige un réseau de résistance. Le 1er juin 1944, la Gestapo fait irruption rue Dupin au domicile de Marie-Louise, la sœur de Robert, et démantèle une partie du réseau. Robert Antelme est déporté. François Mitterrand, en retard, flaire le coup et échappe de justesse à l’arrestation. Les deux témoins confrontent leurs souvenirs, s’interrogent sur une possible traîtrise, se chamaillent quelque peu sur les dates, mais évoquent surtout l’extraordinaire destin de Robert Antelme, déporté à Dachau, puis retrouvé par hasard par François Mitterrand lors de l’ouverture du camp, exfiltré illégalement alors que le typhus menace, et finalement ramené en France.

Les quatre autres entretiens portent plutôt sur la France et le monde contemporains. Il ne s’agit plus d’une confrontation polyphonique de souvenirs communs mais plutôt d’interviews du président de la République, chaotiquement menées par la romancière : la France, l’Afrique, l’avenir de la planète, les États-Unis, la crise libyenne, mais aussi le Morvan, la Saintonge, l’histoire de la gauche sont successivement évoqués. On y retrouve toute la finesse, la culture, l’intelligence exceptionnelle et le sens de la nuance du président, on y retrouve également les jugements à l’emporte-pièce, le goût du paradoxe et le verbe incantatoire de la romancière. François Mitterrand, détaché des contingences politiques du moment, aiguillonné par Marguerite Duras, développe, se dévoile visionnaire et formidablement humain.

Les réserves sur l'ouvrage touchent plutôt le travail d’édition et l’appareil critique. Les notes de Mazarine Pingeot, reléguées en fin de volume, ce qui n’en facilite pas la lecture, sont le plus souvent superflues et inutiles, voire normatives ou naïvement partisanes : vous apprendrez ainsi que Javier Perez de Cuéllar a été secrétaire général de l’ONU de 1982 à 1991, que Claude Roy «incarne la grande tradition française d’humanisme» ou encore que «la campagne des législatives de 1986 est très dure» et que «la droite, menée par Jacques Chirac, attaque violemment Laurent Fabius, alors Premier ministre». La préface est du même acabit : la fille du président souligne l’importance du contexte politique de ces entretiens, alors même qu’à l’initiative de François Mitterrand, il tend à s’effacer au profit d’une vision du monde plus large, plus ample, bref, universelle.

Ultime motif d’agacement, le soin mis par la préfacière à rappeler sa filiation présidentielle, pourtant connue de tous. Ouverture : «Voilà dix ans que François, mon père, est mort». Ultime stance mazarinesque : «Ce 5 rue Saint-Benoît, îlot de culture où les idées se sont battues, les intellectuels et les aventuriers croisés, lieu d’écriture où Marguerite Duras rédigea nombre des livres que j’ai tant aimés, lieu de rencontre enfin, pour la plupart de ces dialogues, entre celle que j’ai rencontrée la veille de l’élection de 1981 et François Mitterrand, mon père». La boucle est bouclée, à l’occasion des dix ans de la disparition du président, l’offensive médiatique de Mazarine pour capter l’héritage paternel tourne à plein régime : la filiation présidentielle est gravée dans les mots, pourtant bien loin de l’universalisme présidentiel.

En annexe enfin, quelques textes témoignages ont été ajoutés, dont celui, saisissant, de Yann Andréa sur l’ultime rencontre entre Marguerite Duras et François Mitterrand en 1994 : il fournirait un excellent texte à Vincent Delerm pour son prochain album…

Raphaël Muller
( Mis en ligne le 01/05/2012 )
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