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Pocheset Histoire  

La Légende de Napoléon
de Sudhir Hazareesingh
Seuil - Points histoire 2006 /  11 €- 72.05  ffr. / 329 pages
ISBN : 978-2-7578-0421-6
FORMAT : 11x18 cm

Première publication française en janvier 2006 (Tallandier).

Traduction de Albert Sebag.

L'auteur du compte rendu : Agrégé, Pierre Triomphe vient de soutenir une thèse sur «Les mises en scène du passé au Palais-Bourbon (1815-1848). Aux origines d’une mémoire nationale». Il a publié L’Europe de François Guizot (Privat, 2002).


Une légende bien connue

La légende de Napoléon est la traduction de l’ouvrage de Sudhir Hazareesingh, paru en 2004 en langue anglaise. Ce spécialiste de l’histoire politique du XIXe siècle, et particulièrement du Second Empire, se consacre ici aux manifestations politiques de la mémoire napoléonienne, un domaine largement exploré. Il entend d’emblée se démarquer des travaux de Frédéric Bluche (Le Bonapartisme), en postulant que le culte napoléonien est en relation directe avec des visées politiques, et de ceux de Nathalie Petiteau (Napoléon. De la mythologie à l’histoire) qui insiste sur le rôle des élites dans la formation de l’image de l’Empereur. Cependant, les objets qu’il étudie de manière privilégiée, les manifestations populaires du bonapartisme, ont eux aussi fait l’objet de nombreuses études.

Le plan de l’ouvrage met en valeur deux temps forts de cette légende, la Restauration, à laquelle sont consacrés près des deux tiers du livre, et les années 1848-1870, dans une structure tout à la fois thématique et chronologique, qui apparaît assez lâche. Tout commence donc avec l’épisode des Cent-Jours. La «révolution culturelle» (E. de Waresquiel) qui s’opère au cours de ces quelques mois, marque, pour l’auteur, le véritable acte de naissance de la figure légendaire de Napoléon, à la fois prométhéenne, thaumaturge, patriote, vengeresse, et intimement liée aux idéaux révolutionnaires.

Les chapitres suivants sont consacrés aux manifestations de cette légende sous la Restauration, au travers des cris séditieux, des chansons, des rumeurs, des costumes, des bibelots, etc. Par nombre d’aspects, ces pages se situent dans la lignée des Napoléon du peuple de Bernard Ménager et De bouche à oreille, naissance et propagation des rumeurs dans la France du XIXe siècle de François Ploux, et n’apportent aucun bouleversement majeur sur le sujet. Elles contiennent néanmoins quelques remarques intéressantes. Dans le développement qu’il consacre aux nombreuses rumeurs qui circulent en France sur un nouveau retour de Napoléon, Sudhir Hazareesingh souligne ainsi que nombre d’entre elles ont paradoxalement été propagées par les troupes qui occupent la France jusqu’au traité d’Aix-la-Chapelle, comme les Polonais incorporés dans l’armée russe. Il termine l’étude de la Restauration par des pages consacrées aux diverses formes d’organisation et de sédition des bonapartistes. Les plus intéressantes portent sur la pratique de «l’antifête» bonapartiste lors des cérémonies officielles en l’honneur des Bourbons. Elles postulent le rôle majeur qu’auraient joué des telles manifestations dans la chute de la Restauration. L’affirmation, non étayée par une étude des variations de leur fréquence au fil du temps, apparaît cependant contestable, surtout au regard des travaux de Bernard Ménager, qui montre le déclin après 1824 des manifestations de ce bonapartisme populaire.

Avant d’en venir à la récupération de la légende par Louis-Napoléon Bonaparte, l’auteur rappelle l’inflexion des représentations de Napoléon. Initialement hostiles à la tyrannie napoléonienne, les libéraux créent progressivement à partir de 1815 l’image d’un prince libéral, notamment au travers des ouvrages de Benjamin Constant, de Las Cases et de Thiers. La légende napoléonienne apparaît alors comme un point de convergence entre les idéologies libérale, républicaine et bonapartiste, fondées sur un attachement commun aux principes d’égalité et de souveraineté nationale notamment. La force de cette légende va permettre au prétendant d’accéder à la présidence, en 1848, puis de réaliser le coup d’Etat du 2 décembre, qui consomme la rupture entre bonapartistes d’une part, libéraux et républicains de l’autre.

Après ces analyses classiques, le dernier chapitre consacré au rôle des vétérans sous le Second Empire apparaît plus novateur, même s’il s’appuie partiellement sur les travaux de Natalie Petiteau (Lendemains d’Empire : les soldats de Napoléon dans la France du XIXe siècle). Il s’attache plus particulièrement aux manifestations officielles lors de la Saint-Napoléon, le 15 août. Ces vieux soldats pour lesquels on crée la médaille de Sainte-Hélène sont encore quelques 400 000 dans les années 1850. Ils illustrent l’idéologie napoléonienne d’une société ordonnée, hiérarchisée, mais en fonction de la valeur personnelle des individus, non de leur ascendance. Les médaillés apparaissent ainsi comme les médiateurs entre la légende et son actualisation politique sous Napoléon III.

Les diverses anecdotes relatées à l’occasion de ces festivités, comme celle des quarante vieux grognards festoyant et s’enivrant toute la nuit, résument l’intérêt essentiel de cet ouvrage, qui ne renouvelle guère le paysage historiographique, mais est de lecture agréable, et dont les analyses de détail, en divers endroits, peuvent être stimulantes. Disposant par ailleurs d’un index précieux et d’une bibliographie commentée et à jour, même si elle est loin de recenser tous les titres cités en note, La Légende de Napoléon apparaît ainsi comme le complément utile d’autres lectures sur le même sujet.

Pierre Triomphe
( Mis en ligne le 15/02/2008 )
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