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L’Histoire secrète du géant
de Matt Kindt
Futuropolis 2011 /  24 €- 157.2  ffr. / 192 pages
ISBN : 978-2-7548-0431-8
FORMAT : 15x21.5 cm

Citizen Craig

Craig Pressgang avait tout l’air d’un bébé comme un autre. Mais son enfance en a décidé autrement : ce petit là était grand, trop grand pour son âge, et plus il vieillissait, plus il grandissait, sans jamais sembler vouloir s’arrêter. S’il est vite devenu l’emblème de sa ville puis la coqueluche de son collège, star du basket oblige, ce monde va bientôt finir par devenir trop petit pour lui. Le géant se sent à l’étroit et commence avoir besoin d’air. Lorsqu’il rencontre la jolie Jo, tout va pour le mieux : elle lui conçoit une maison – une tour même – sur mesure, et les contrats publicitaires décrochés permettent à Craig de vivre serein. Mais inévitablement, tout continue de devenir minuscule pour Craig, trop lointain, vain. Il est au-dessus de tout, ailleurs, dans un monde dont il est le seul habitant, avec des fourmis qui s’activent à ses pieds et qu’il n’entend même plus.

De ce drôle de postulat de départ, à la fois fantastique et insolite, Matt Kindt a tiré un superbe livre, une magnifique histoire émouvante et astucieusement racontée. Le récit aurait pu tourner à l’anecdote, à une suite de gags (comment habiller un géant haut comme trois mille pommes, à quoi ressemble sa maison, ses lunettes…), mais Matt Kindt a choisi d’en faire une histoire universelle : celle de cet homme qui ne trouve pas sa place dans la société, de celui qui se cherche sans jamais rien trouver et voyant toujours de plus en plus loin (de plus en plus haut) ses espoirs de trouver le bonheur.

Comme dans Super Spy, mais de façon plus légère toutefois, Matt Kindt combine les différentes formes narratives pour déployer cette épopée et va jusqu’à se servir de plans d’architecte pour accompagner le mal de vivre du couple Pressgang.
L’autre point fort de la narration est d’avoir laissé la parole à trois femmes : la mère, l’épouse, et enfin la fille évoquent ainsi successivement leur Pressgang. Celui-ci, Citizen Craig, n’est donc plus qu’une suite de témoignages, de souvenirs plus ou moins flous, et de coupures de presse. Il ne se raconte jamais lui-même, il n’est que l’évocation des autres et emporte avec lui son mystère, son identité, ses secrets. Pour sa mère, déjà veuve inconsolable, il est l’enfant perdu, celui avec qui elle ne pourra rien partager. Pour son épouse, Craig est le mari aimant puis distant. Quant à Iris, la fille, c’est à la quête d’une créature mythique qu’elle s’attaque : Craig est devenu une légende urbaine, un Sasquatch aperçu par quelques témoins et dont on peut espérer trouver, par chance, quelques traces dans une nature encore plus vaste. Au final, l’évocation de cette vie à la fois étonnante et familière emprunte des chemins tour à tour drôles, poétiques et mélancoliques.

Certains pourront être rebutés par le dessin de Kindt ; il faudrait leur dire, leur promettre, qu’aller au-delà de cette inappétence révélera un revigorant moment de lecture. Après l’inépuisable Super Spy, Kindt confirme donc son statut d’auteur résolument à part, et reste assurément à suivre.

Alexis Laballery
( Mis en ligne le 29/05/2011 )
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