L'actualité du livre
Bande dessinéeet Autre  

Les spectateurs
de Victor Hussenot
Gallimard 2016 /  18 €- 117.9  ffr. / 96 pages
ISBN : 978-2070668984
FORMAT : 27x20 cm

Tout un chacun

Paris, du soir au matin. Badauds sur les quais, passagers dans le métro, hommes et femmes réfléchissent, le temps de quelques planches, à l'étrangeté de la coexistence urbaine.

Sans doute un des acteurs les plus intéressants de la bande dessinée contemporaine, Victor Hussenot a le trait fin d'un François Olislaeger, une ligne claire réduite à sa plus simple définition, sans expressivité manifeste. Mais sa force vient de ce qu'il met à l'intérieur. La matière du papier et la vivacité des couleurs donnent une chair éclatante à ces personnages et à ces décors qu'on aurait pu penser vides. Silhouettes colorées, les héros de Victor Hussenot reprennent les vieux standards de la bande dessinée classique où le costume fait toujours partie de la définition. Mais ici, la silhouette est fugace et les couleurs ont tout des vêtements du matin : chaque humain n'est que l'éphémère représentation d'un lot commun universel. Les saynètes qui composent le recueil sont donc séparées par de courtes séquences, dans lesquelles une ombre noire quitte le costume du narrateur précédent pour endosser celui d'un autre. Vous, mes lecteurs, mes frères... Loin d'une disparition de l'apparence, c'est dans un va-et-vient des formes qu'Hussenot s'attaque à l'humanité. Il y expérimente de nouvelles solutions graphiques : puzzle de vignettes, métaphores visuelles, transformation de l'image. Tout un spectacle.

Spectateurs, ces personnages le sont parfois, mais pas toujours. Ou s'ils le sont, c'est de leur propre vie, loin d'un Fenêtre sur cour d'observateurs symétriques. Il s'agit avant tout de vivre, d'exister, et de s'observer en mouvement. Ou en attente. L'un d'entre eux s'intéresse au moment où les silhouettes, dans le lointain, ne laissent pas encore voir si elles s'éloignent ou se rapprochent. Un autre constate à quel point les inconnus endossent le rôle de l'âge qu'ils représentent, comme s'ils étaient coupés du reste du temps.

En suivant ces anonymes au fil des séquences, on perd progressivement la notion classique du temps et de l'espace. Souvent, Hussenot gère ses vignettes comme des emplacements donnés, plus que comme des moments particuliers. On peut y croiser le fantôme de son ancien état, son souvenir ou son passé. Une planche peut tout à fait se transformer en immeuble, et faire coexister des lieux ou des existences parallèles. Il n'est pour autant pas ici question de la vieille métaphore du cadre et du tableau : Hussenot reprend l'idée de la ville, du monde et de l'art, il fait de son livre une cité, mais cherche pour cela des solutions nouvelles. On s'y promène comme dans une rue inconnue.
Ensuite, en ressortant dans Paris, on le revoit avec les yeux de Victor Hussenot. Couleurs chaudes, passants attentifs à ce qui pourrait advenir. La ville n'est pas moins peuplée, ni moins diverse, mais elle est moins agressive et délimite les contours d'une forme de sérénité paisible.
Comme une grande respiration colorée.

Clément Lemoine
( Mis en ligne le 14/02/2016 )
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