L'actualité du livre
Bande dessinéeet Autre  

Là où vont les fourmis
de Michel Plessix et Frank Le Gall
Casterman 2016 /  18 €- 117.9  ffr. / 72 pages
ISBN : 9782203098213
FORMAT : 21x28 cm

Malice au pays des merveilles

Il était écrit que ces deux-là devaient se rencontrer. Amoureux des mots et des images, humanistes tendres à la recherche de l'instant, un pied dans le récit picaresque et un autre dans la contemplation malicieuse, ils avaient trop en commun pour se rater. L'entêtement, aussi, de dessinateurs prisés pour la beauté de leurs planches et qui persistent à signer de simples scénarios.

Dans Là où vont les fourmis, on reconnaîtra d'abord les dessins de Michel Plessix, formes rondes et généreuses éclairées aujourd'hui par les couleurs de Sébastien Orsini, plus que le scénario de Frank Le Gall. Celui-ci lui a visiblement écrit un récit sur-mesure, piochant dans ses propres goûts tout ce qui a l'habitude de plaire à son comparse.
Il s'agit donc d'un conte arabe malicieux, juste exotique ce qu'il faut : Saïd, berger contre son gré, discute avec une vieille chèvre en rêvant du chemin suivi par les fourmis. Le jeune garçon ne se doute pas encore de ce que la vie va lui apporter, l'aventure, l'amitié et l'amour.

Une ligne simple, riche en surprises plus qu'en retournements de situation. Le parcours de Saïd se lit au premier degré, comme tout conte qui se respecte, mais cela ne l'empêche pas de passer par bien des scènes ironiques. Si certaines, au cœur de l'album, semblent peut-être de trop, comme ces clins d'œil aux Mille-et-une Nuits qui nous sortent un peu de la lecture, la plupart n'empêchent pas une véritable communion avec le héros. Nous sommes, comme Saïd, naïfs et émerveillés par les nombreuses beautés du désert.
Plessix et Le Gall n'optent pas sans réserve pour le merveilleux des contes. C'est la mobylette du cousin Kahil qui met un peu de modernité dans cet univers où les chèvres parlent parfois et où les sorcières font dix mètres de haut. Surtout, ce qu'on croit relever d'une logique de fable s'avère finalement très contemporain, les choses fluctuant selon le sens du vent. C'est particulièrement le cas de Zakia, sage comme une vieille femme et sénile comme une chèvre (ou l'inverse) ; mais tous les personnages nous montrent progressivement leur humanité, d'abord inflexibles comme des archétypes avant d'évoluer vers une situation sociale. Le djinn se radoucit, le vieux marchand devient l'esclave d'un chameau, le cousin moderne finit berger à son tour. Quant à Saïd lui-même, il saura où il se trouve et où il peut aller.

En somme, Là où vont les fourmis est surtout une réflexion sur le voyage, la grande thématique à la fois de Plessix et de Le Gall et qui trouve ici, sinon son aboutissement, du moins un superbe port d'attache. L'important n'est pas d'aller ailleurs, nous disent les auteurs, c'est surtout de s'autoriser à partir, et cela où qu'on soit. Il suffit de suivre ses rêves – ou ses fourmis – pour trouver sa place et son identité.
Au-delà de la philosophie tranquille dans laquelle chacun trouvera son compte, le livre procure à son lecteur un véritable petit ravissement : tendresse, humour et évasion. Les numéros de page sont nos propres fourmis que nous suivons, obstinément, sans pouvoir nous en séparer.

Clément Lemoine
( Mis en ligne le 27/09/2016 )
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024



www.parutions.com

(fermer cette fenêtre)