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Otto, l'homme réécrit
de Marc-Antoine Mathieu
Delcourt 2016 /  19.50 €- 127.73  ffr. / 72 pages
ISBN : 9782756080192
FORMAT : 30,5x19,6 cm

Le Salon de l'Otto

Marc-Antoine Mathieu a le goût de la performance. Après Sens, qui jouait avec nos yeux et les secrets du décor, après les albums oubapiens de Julius Corentin Acquefacques ou après 3 secondes et sa boucle numérique, Otto raconte l'histoire d'un homme qui disparaît. Toutes les variantes du reflet y sont exposées, y compris l'invisible. On y retrouve aussi le sens du récit dont témoignaient déjà Mémoire morte et Le Dessin, autres fables abstraites pourvues d'une narration fournie. On pense enfin à Dieu en personne, pour le discours philosophique pointu agrémenté de références intellectuelles.

Mais Otto est également un livre qui ne ressemble à aucun autre. La vie de cet artiste reconnu, qui abandonne toute vie sociale pour se perdre dans la contemplation de son passé, et va abandonner l'existence en acquérant la certitude, ouvre la voie à de nombreuses interprétations parallèles au gré des envies du lecteur.
On pourra ainsi lire dans Otto une projection de l'auteur, puisque, nous dit-il via une citation de Ionesco, « faire le portrait de quelqu'un, c'est faire, non consciemment, son propre portrait ». Otto – M.A.Ma., même combat ? Marc-Antoine Mathieu semble donner une allure de confession à ce récit qui revisite toute son œuvre à la lumière de la notion d'intimité. Et bien sûr, il nous inclut dans ce dévoilement, nous tous lecteurs dont le visage, comme celui d'Otto, se résume finalement au symbole du vide. Zéro plus zéro. L'album ressemble à un ruban de Möbius, fermé en boucle sur lui-même, comme à l'approche de l'infini. L'auteur et le lecteur n'y font plus qu'un.
On pourra, au contraire, chercher chez Otto le transhumanisme promis par les scientifiques. Cet homme qui sait tout sur tout n'est-il qu'un ersatz de l'automatisation, un robot chargé du savoir universel ? C'est le vieux rêve de se noyer dans la mécanique, de devenir une machine sans fantôme. Nul lien, nulle affection humaine pour empêcher le personnage de chercher la vérité au fond de lui-même, comme une certitude rationnelle.
On pourra enfin lire dans ces pages une énième mise en abyme, chaque tableau recomposé par Otto devenant une case labyrinthique à l'intérieure d'une autre, chemin décousu accroché sur des pinces à linge. C'est la « métaphysique du double » sur laquelle travaille Otto, cette infinité de reflets qui finissent par donner le vertige. En disparaissant des cases, en se noyant hors-champ avant de s'évanouir bel et bien pour réapparaître en tant que foule, Otto Spiegel se révèle comme livre de papier, comme mémoire vivante, comme abstraction.

Mais ces hypothèses doivent bien sûr avant tout se combiner les unes aux autres, dans une suite d'images surréalistes dignes d'un songe métaphysique emboîtées à l'infini comme des poupées gigognes. Mathieu nous invite à la rêverie féconde, alimentée de collages et de citations pour creuser notre propre sillon dans le monde.

Clément Lemoine
( Mis en ligne le 14/11/2016 )
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