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Bande dessinéeet Historique  

American Tragedy - L’histoire de Sacco & Vanzetti
de Florent Calvez
Delcourt - Mirages 2012 /  14.30 €- 93.67  ffr. / 112 pages
ISBN : 978-2-7560-1255-1
FORMAT : 16,7x25,7 cm

Here’s to you

Les années vingt, l’Amérique a tous les espoirs : sortie victorieuse de la Grande Guerre, en pleine croissance économique, elle a pris la place de l’Angleterre comme « atelier du monde » et rien ne semble arrêter la démesure de sa société de consommation… L’heure est à l’optimisme, et pourtant, l’ambiance est au conservatisme, à la paranoïa antirouges et antialcoolique. Le Ku Kux Klan recrute à tour de bras, on fait des procès aux partisans de Darwin, et les revendications sociales sont assimilées à de la trahison. Car le climat social s’assombrit : les ouvriers réclament leur part du rêve américain. Des tensions éclatent, des grèves se propagent, des attentats anarchistes visent quelques grands patrons. L’affaire Sacco et Vanzetti éclate dans ce contexte : l’histoire de deux immigrés italiens, plutôt proches de l’anarchisme, impliqués bien malgré eux dans une affaire à sensation. Un braquage, des témoins (plus ou moins fiables, mais qu’importe), un procès spectaculaire destiné à administrer non pas la justice, mais la preuve que les Etats-Unis n’auront pas de pitié pour les anarchistes. Sacco et Vanzetti sont bientôt pris au piège d’une machinerie non pas judiciaire, mais politique, une démonstration de force qui les mène à la chaise électrique.

Après un Reanimator très réussi, Florent Calvez continue son exploration des coulisses du rêve américain : Herbert West – le réanimateur de cadavre – figurait un savant fou traumatisé par la Grande Guerre, Sacco et Vanzetti sont quant à eux les victimes d’une nation traumatisée par sa sortie de guerre. Mais cette fois, l’auteur compose avec le réel, et avec une affaire policière qui a ému la planète. Florent Calvez se met donc en scène, dans la peau de l’auteur-enquêteur. Partant d’une conversation estivale et new yorkaise, il nous entraîne, insidieusement, dans une histoire triste, une « tragédie américaine » Dans la veine des grands films procès, cet album suit le parcours des deux hommes, se penche sur leur situation en élargissant la focale, retrace le climat social plutôt malsain du « big business ». Installé au premier rang du tribunal, on suit le procès, on découvre le quarteron de témoins, les « preuves », le juge Thayer – plutôt un procureur – et l’avocat en sandalettes. Et surtout, on chemine lentement aux côtés de Sacco et Vanzetti, dépassés. Enfin, Calvez n’hésite pas à s’introduire dans la chambre d’exécution, afin de confronter le lecteur à une réalité toujours actuelle. Un album qui, sans être militant, constitue aussi une forme de témoignage.

Et comme dans ses albums précédents, le trait de Calvez est magistral, en particulier cette façon de personnaliser, ou, au contraire d’impersonnaliser certains personnages : le juge Thayer, incarnation du WASP froid et impénétrable, est particulièrement réussi et tranche avec une justice détachée, costumes sombres et visages sans âmes. La mise en scène est extrêmement efficace, très cinématographique : l’album semble avoir été conçu comme un hommage au cinéma, avec ses plans larges (dont une magnifique statue de la liberté, symbole qui semble dérisoire), ses travellings, ses plans fixes. Les références aux classiques du cinéma noir, ainsi qu’à Coppola (celui du Parrain), sont nombreuses et bienvenues. Au final, voilà un album très réussi, qui passionnera les amateurs d’histoire et les fans – critiques – de l’Amérique des années vingt, par un auteur doué, trop rare hélas.

Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 22/05/2012 )
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