L'actualité du livre
Bande dessinéeet Historique  

Les Grands Peintres
de Dimitri Joannidès , Dominique Hé , Olivier Bleys , Benjamin Bozonnet et Yomgui Dumont
Glénat 2015 /  14.50 €- 94.98  ffr. / 56 pages
FORMAT : 24x32 cm

Jan van Eyck
9782749307473

Goya
9782723497084

Toulouse-Lautrec
9782723497091


L’envers du tableau

Avec ces trois premiers beaux albums, Glénat inaugure une nouvelle collection sur les Grands Peintres et l’histoire derrière un de leur tableau célèbre. Il ne s’agit donc pas de biographies dessinées, mais simplement de l’évocation d’un moment précis dans la carrière d’un artiste et des circonstances qui l’ont amené à travailler sur telle ou telle œuvre. On peut déjà louer cette intention puisqu’on a trop souvent lu de mauvaises biographies dessinées, inutiles et approximatives sur de grands hommes. Là où le principe de cette collection devient également très intéressant c’est dans le choix de diversifier les genres et les auteurs. Ainsi, ces trois premiers albums montrent le ton puisque si Jan van Eyck est le plus classique dans sa forme, Goyaressemble à un huis-clos noir et poisseux, tandis que Toulouse-Lautrec est une fantaisie colorée et un peu exubérante. Cette collection s’annonce d’ores et déjà variée et très loin des académismes habituels réservée à ce genre d’exercices. Et le programme à venir est tout aussi excitant puisque si cette collection fait certes la part belle à quelques grandes figures (Van Gogh, Monet, Michel-Ange…), elle promet aussi des volumes voués à d’autres artistes aux existences plus secrètes et moins commentées. Ainsi Caillebotte et Fragonard sont d’ores et déjà annoncés, et van Eyck donc, pas le plus connu des peintres flamands, ouvre le bal.

A la lecture de ces trois premiers albums, on peut dire que la collection commence extrêmement bien et que le pari d’une bande dessinée historique mais pas plombant est réussi. On pouvait en effet craindre l’éternel problème des biographies en bande dessinées avec reconstitution aussi minutieuse que hiératique, avec son lot de dates et laissant filer le scénario derrière une liste de dates. Ce qui est privilégié ici c’est l’anecdotique, le détail. Pas question de faire la bio complète d’un peintre mais les auteurs se focalisent sur une période précise de leur vie respective. Ainsi la retraite de Goya, le rôle d’espion pour van Eyck et le travail de Toulouse-Lautrec cet de la Goulue. Et surtout, il n’est ici pas question de vérité historique implacable. Au contraire, les auteurs se laissent aller à des errances romanesques bienvenues. Comme si les tableaux et les œuvres des peintres étaient le point de départ d’une rêverie romanesque.
L’autre grande qualité de cette nouvelle collection c’est la variété de styles et de tons. On sent que la liberté a été donnée aux auteurs et que le cahier des charges ne se résume finalement qu’à une idée : mettre en scène un peintre autour de l’une de ses créations.

Plus en détail maintenant, Jan Van Eyck raconte le moment où l’artiste flamand dessine de finir le retable inachevé de son frère disparu. Van Eyck est aussi très lié au Duc de Bourgogne pour qui il travaille souvent sur des missions diplomatiques et quelque peu secrètes. Avant d’aller à Gand terminer le grand Retable de l’Agneau mystique, voilà donc Jan van Eyck en mission vers l’Espagne puis Constantinople. Et au bout de cette mission peut-être une inspiration supplémentaire, une vocation retrouvée. Si au premier abord, l’album est de facture très classique, on réalise au final qu’il ne raconte pas grand-chose, seulement un moment clé avant le début d’une nouvelle vie, une parenthèse où les personnes croisées un peu au hasard deviendront des protagonistes clés dans l’élaboration d’une œuvre majeure.

Toulouse-Lautrec est dès le départ truculent et explosif. Dans ces premières pages au Moulin Rouge, tout va très vite et l’on est emporté dans ce tourbillon de danses, de jambes levées et de bons mots où l’on croise entre autres Oscar Wilde, une princesse du Pays de Galles et un émir. La suite de l’album est une frasque un peu sucrée, un peu inquiétante, qui s’éloigne cette fois ostensiblement de la réalité et raconte un épisode dont Toulouse-Lautrec n’est au final que simple figurant. L’idée étant de présenter un décorum un peu excentrique qui aurait inspiré le peintre de Montmartre.

Quant à Goya, peut-être le plus marquant de ces trois premiers albums, il revient sur cette période charnière où l’artiste espagnol, vieillissant, entame sa période de toiles torturées et violentes, ses fameuses « peintures noires ». L’homme est en retraite dans une maison avec sa gouvernante/maîtresse et la fille de celle-ci. Dans son atelier, il travaille à son Saturne dévorant un de ses enfants. Irascible, colérique, vieux con même, l’artiste génial est montré sous un jour peu flatteur mais qui rend parfaitement compte de son travail et de sa mentalité à la fois combattante et révoltée. Le dessin de Benjamin Bozonnet convient parfaitement à cet univers de cendres et de taches. Le dessinateur, également peintre, propose un dessin très lâché, très expressif, et d’une belle puissance.


On le voit, ces trois albums s’ils suivent le même cahier des charges, proposent des univers très différents, mêlent le vrai et le faux, la vérité historique à la légende. Et c’est ce qui fera sans doute la force de cette collection. Chaque album est de plus complété par un cahier pédagogique établi par Dimitri Joannidès : huit pages qui reviennent sur le parcours de chaque peintre évoqué. Une belle réussite éditoriale !

Alexis Laballery
( Mis en ligne le 16/03/2015 )
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