Bande dessinée Historique |
Florida de Jean Dytar Delcourt - Mirages 2018 / 29.95 €- 196.17 ffr. / 264 pages ISBN : 978-2-41300-29788 FORMAT : 19,8x26,3 cm Cartographe des âmes Jacques le Moyne fut un cartographe, et un bon, un explorateur également, qui participa à une grande expédition française en Floride, dans un territoire revendiqué par l’Espagne. Et depuis… rien ! Depuis son retour, ce protestant s’est installé en Angleterre avec femme et enfant, ainsi que son père, catholique convaincu. C’est le temps des guerres de religion, de la Saint Barthélémy, et Le Moyne a sauvé sa tête en traversant la Manche. Mais qu’en reste-t-il ? Car l’homme est désormais l’ombre de lui-même, un dessinateur de motifs floraux pour les broderies de la reine, un homme silencieux, traumatisé, mutique, abimé. Que sa femme, Eléonore, aime silencieusement, sans comprendre sa douleur. Ce qui s’est passé en Floride, on le subodore mais Le Moyne se tait. Alors forcément, ses secrets intéressent du monde, car l’Angleterre aussi a des projets coloniaux, et Walter Raleigh en particulier. Mais comment faire causer Le Moyne ? Comment l’amener à raconter ce qu’il vit là-bas ? Entre séduction et manipulation, Raleigh parviendra-t-il à ses fins ? Et Le Moyne dira-t-il enfin ce que fut la tentative coloniale française en Floride ? Le XVIe siècle, celui des découvertes, mais aussi celui d’une Europe convaincue de sa supériorité, imbue de son bon droit à coloniser, et lancée à la conquête du monde. Avec minutie et subtilité, Jean Dytar nous entraîne dans un épisode douloureux de cette histoire, et sur sa mémoire sombre. A travers Le Moyne, c’est le procès de la colonisation qui est instruit ici, et plus largement, des grandes expéditions et de cette « découverte » d’un monde qui n’a pas attendu l’Europe pour exister. Mais aussi des luttes impériales et de l’importation dans guerres occidentales dans les Amériques. Le contexte s’affirme peu à peu, à travers les souvenirs des protagonistes, ceux d’Eléonore, fille de cartographe, épouse de cartographe et cartographe elle-même, et ceux de Le Moyne, qu’il faut extirper de sa mémoire. Tout le charme de l’album réside déjà dans ce va et vient constant entre le présent de Le Moyne, les intrigues qui se nouent autour de lui, et ce continent mystérieux qu’on appelle la mémoire : Jean Dytar, avec subtilité, parvient à mettre en image l’attention fluctuante de Le Moyne, le poids de ses souvenirs et de ses hantises, le monde qui se déplie et se structure telle une carte. La science du dessinateur rencontre celle des cartographes et, par touches discrètes, organise l’album et la narration. Puis vient la vérité, le journal de Floride rédigé par Le Moyne et ses dessins relatant l’expédition et ses drames, sa vérité avant dernière. Jean Dytar est un immense auteur de BD, dont chaque album, d’inspiration historique, éclaire le talent. En effet, après s’être approprié le style des miniatures persanes, puis celui des artistes italiens du Quattrocento, le voilà qui investit, avec la même virtuosité, l’art des cartographes et des gravures du XVIe siècle. La qualité du graphisme et l’originalité du projet sont une fois de plus exceptionnelles, mais, comme pour les précédents albums, Dytar maîtrise en outre l’art de l’intrigue et du matériau humain, celui des émotions, et d’une certaine densité dans les personnages, qu’on trouve rarement. Un album à l’image des précédents, subtil, maîtrisé, captivant, et une grande et belle leçon d’histoire humaine. Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 16/07/2018 ) |
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