Bande dessinée
Historique de Tarek et Stéphane Perger
Emmanuel Proust 2005 / 13 €- 85.15 ffr. / 48 pages
ISBN : 2848100796
FORMAT : 23 x 33 cm
Guerre secrète
Sir Arthur Benton fait partie de ces Anglais qui, dans la foulée de Sir Oswald Mosley, ont choisi le nazisme comme modèle… et lorsque la fin de la guerre approche, les comptes à rendre s’alourdissent. Capturé par les alliés, placé face à son ennemi de toujours, le colonel de la Taille, Benton se confesse et raconte une autre histoire de l’Allemagne et de la guerre, une histoire où les services secrets s’affrontent, où les partis extrémistes (communistes et nazis) luttent pour le pouvoir, où les nationalismes s’enflamment, où l’on brûle, pille ou tue au nom de l’idéologie, mais jamais sans une arrière-pensée intéressée. Une sorte de guerre secrète cachée dans la grande.
Ce premier album d’une trilogie prometteuse nous fait assister à la montée du parti nazi, malgré la résistance du KPD et des ouvriers : l’histoire est en marche, mais dans l’ombre, des industriels soutiennent l’apprenti dictateur et lui procurent des armes. Toutefois, et c’est là que tout se complique, ces armes transitent par Istanbul après une manipulation de grand style qui met en scène partisan du califat, nationalistes arabes et services anglais. On quitte la BD historique pour le monde du thriller et des barbouzeries, avec ses opérations commandos et ses agents doubles. Dans la coulisse, sir Benton agit pour le compte des uns et des autres au nom d’un anticommunisme dont on sent bien qu’il est nuancé par le goût du jeu et du pari sur l’histoire. L’espion français, de la Taille, saura-t-il déjouer les manigances de son homologue anglais ? Le deuxième bureau parviendra-t-il à faire échec à l’hitlérisme ? Le duel ne fait que commencer, et les adversaires se font désormais face. Sortez les épées !
Reconnaissons-le d’emblée, l’album est réussi : le sujet est original et les fans d’histoire apprécieront tant le traitement que la qualité de l’intrigue de Tarek, à mi-chemin entre le thriller et le roman graphique. Le graphisme est également original : Stéphane Perger a su donner a ses images un ton quasi cinématographique, un peu délavé (genre films d’actualité des années 30 ou Casablanca) qui renforce les attitudes et les visages. Le travail des couleurs est également à souligner, Perger étant parvenu, en jouant sur les noir, brun et rouge, à symboliser le destin menaçant de l’Allemagne et du monde. Mais le plus inquiétant, c’est sans doute cette capacité à présenter Benton comme un parfait gentleman (ne dit on pas du renseignement qu’il s’agit d’un métier de voyou pratiqué par des gentlemen, un peu comme le rugby ?), dans une guerre insidieuse, où tous les coups sont permis (on torture facilement dans cet univers du secret, où personne n’est vraiment ce qu’il affirme être).
Car la guerre et le nazisme ne sont finalement que le prétexte à un duel entre deux joueurs, de la Taille et Benton. Comme aux échecs, les deux maîtres-espions déplacent leurs pièces, élaborent une stratégie dont le lecteur, peu à peu, prend conscience, séduit par les deux personnalités si contrastées et si complémentaires. Une belle variation sur les coulisses de l’histoire, à suivre absolument.
Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 06/04/2005 )
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