L'actualité du livre
Bande dessinéeet Historique  

Fille de rien
de Sylvain Ricard et Arnü West
Futuropolis 2007 /  14 €- 91.7  ffr. / 64 pages
ISBN : 978-2-7548-0031-0
FORMAT : 22x30 cm

Le collabo et les résistants

Dans les représentations de la Seconde Guerre mondiale et de l’occupation, une mauvaise conscience chasse l’autre. Après la France collabo, c’est maintenant les excès de la Libération qui sont dénoncés. Les femmes tondues, les exécutions sommaires et la foule vengeresse. Depuis Lacombe Lucien, le héros n’est pas toujours résistant et épris d’idéal.
C’est la même idée qui porte cette Fille de rien. Un discours humaniste pour dénoncer les jugements à l’emporte-pièce. Et rappeler que certains Collabos défendaient parfois des idéaux bien plus nobles que certains Résistants. Car si ici Serge travaille avec l’Ennemi, qu’il entretient même des liens d’amitié avec un allemand (quelle horreur), c’est aussi pour lui une façon de résister, une position délicate à tenir contre tous ceux qui choisissent les solutions de facilité, le racisme ou la soumission. Hostile à Pétain, et à ceux qui fricotent avec les Boches, il n’en est pas devenu aveugle pour autant… Mais dans l’esprit des Lyonnais, sa position est claire : c’est un collaborateur.
L’album joue par ce biais la carte de l’originalité. Une autre de ses idées intéressantes consiste en la réunion de différentes tendances dans la même famille. Un des frères de Serge est résistant, un autre travaille pour le marché noir. De quoi alimenter l’ambiance pendant le repas du soir…

Il est regrettable que ces personnages riches de potentiel soient brossés un peu rapidement, et sans vraie profondeur psychologique. Paradoxalement, ce nouvel échiquier de l’Occupation de la Libération ne supprime pas l’opposition entre les bons et les mauvais, il se contente de redéfinir les frontières. On aimerait bien comprendre un peu mieux certaines figures à peine entrevues, comme le quatrième frère qui semble n’être là que pour compléter la tablée. D’autant plus que le dessin d’Arnü West, largement paisible et agréable dans les décors, est moins convaincant pour rendre compte de la diversité des expressions des visages.

Mais le duo Ricard-West se rattrape en jouant sur les ambiguïtés. Celle du trio Jürgen-Lucienne-Serge, sur la structure duquel le lecteur s’interroge un bon moment, avant de découvrir le flou volontaire qui l’entoure. Celle de la couverture, qui a l’audace de représenter un moment clé mais tardif de l’album : Lucienne, un enfant dans les bras, baisse sa tête tondue sous les drapeaux de la Libération. Le suspense est donc déjoué, et avec lui le jeu chronologique qui nous fait souvent, dans les histoires sur cette époque, compter à rebours le temps qu’il reste avant les événements historiques. Ici, on se doute de la fin (partielle) de l’histoire. Ce qui est en jeu, c’est surtout une question de morale individuelle, l’interaction qui se jouera entre les membres de cette famille déchirée.
Les auteurs n’ont pas cédé à la facilité du happy end. Les dernières pages, tragiques, sont grises et immobiles. Un parfum mélancolique pour une année 1944 souvent représentée avec joie, et qui ne témoigne là que d’un immense gâchis.

Clément Lemoine
( Mis en ligne le 17/07/2007 )
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024



www.parutions.com

(fermer cette fenêtre)