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Bande dessinéeet Historique  

Les Invisibles
de Jean Harambat
Futuropolis 2008 /  24 €- 157.2  ffr. / 192 pages
ISBN : 978-27548-0139-3
FORMAT : 18,5 x 26,5 cm

Les croquantes et le croquant

Vers 1677, un cavalier arrive dans une demeure gasconne, porteur d’une mauvaise nouvelle. Il vient annoncer aux trois femmes la mort de leur fils, mari et père : Audijos, le chef des Invisibles, le Zorro gascon, reparti en guerre après s’être illustré dans la lutte contre la gabelle.
L’une après l’autre, les trois femmes se souviennent alors des années qui ont précédé, et nous revivons cette lutte avec elles. Comment la taxe de la gabelle monta les paysans contre le pouvoir royal, qui s’imposait par la force. Comment Audijos, revenu de la guerre en Flandres, encouragé de toutes parts, prit la tête de la révolte. Et comment l’armée des paysans ainsi constituée tint tête à l’armée nationale, dans une guérilla rurale violente et douloureuse. Une trame fidèle à la réalité historique, mais que cette triple narration transforme en récit singulier.

Emprunté à la littérature, et entre autres à Lord Jim que Jean Harmabat cite en exergue, le procédé des points de vue successifs permet de mettre en place vraisemblance et richesse psychologique. Les personnages n’ont rien de caricaturaux, leur humanité est constante et touchante. Au fil des interactions, les caractères se font jour et prennent de plus en plus de place.
Pourtant, Harambat se souvient aussi semble-t-il des romans de cape et d’épée. D’autant plus que le récit est d’abord paru en feuilleton, dans les pages de Sud-Ouest. Aussi, dans ce cavalier gascon à l’époque de Mazarin, on retrouve des allures de mousquetaire. Mais Audijos est plus historique, et peut-être plus moderne aussi, que d’Artagnan. De page en page, on se rend compte qu’il n’a rien d’un Zorro en lutte spontanée contre l’autorité légale. Ce sont les autres qui le poussent à la tête de la révolte, et il n’a toujours que de maigres alternatives. Il est donc d’autant plus invisible qu’on l’aborde toujours de l’extérieur. À La manière de Lord Jim, justement, c’est un personnage presque passif, courageux sans héroïsme. On lit sa vie avec le sentiment de parcourir une page d’histoire, réelle et complexe.
Autour de lui, la jeune fille amoureuse, la mère ambitieuse, le marquis au cœur droit, sont peints à petites touches exactes. Harambat maîtrise particulièrement bien ses dialogues, qui font mouche à tous les coups.
Le graphisme en va de même : avec nos habitudes des Juillard et autres Jacques Martin pour rendre compte de l’âge classique, le dessin juste mais en forme d’esquisse surprend au premier abord, loin de l’académisme d’usage ordinairement. Mais il n’en cache pas moins une documentation très exacte, et des hommes et des chevaux qui tiennent bien la route. La fureur des batailles se mêle à la précision de la mémoire.

Avec l’austérité du travail historique, en nous annonçant dès le prologue la mort du héros, en choisissant la vraisemblance, Harambat se prive de nombreuses ficelles pour nous tenir en haleine. C’est donc un mérite d’autant plus grand de parvenir à construire un récit authentique et inspiré. Pour un premier album, c’est une réussite, qui promet pour les récits à venir.

Clément Lemoine
( Mis en ligne le 30/09/2008 )
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