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Les Gardiens du Louvre
de Jirô Taniguchi
Futuropolis Musée du Louvre 2014 /  20 €- 131  ffr. / 132 pages
ISBN : 978-2-7548-1015-9
FORMAT : 23,5×33,5 cm

Ilan Nguyen (Traducteur)

Taniguchi mangé par le Louvre

Les Gardiens du Louvre offre un intéressant cas de conscience au lecteur français qui n'est pas nécessairement mangavore mais a pu trouver chez Taniguchi une plume autant qu'un trait titillant ses penchants nippophiles, une échappée belle, confirmée titre après titre.

Aussi ce dernier opus déroute-t-il : par sa forme et dans la fond. Le sujet tout d'abord, commandé par le Musée du Louvre, co-éditeur de l'album avec Futuropolis, amplement remercié en dernière page par l'auteur : une déambulation dans le célèbre musée, mais aussi dans Paris et la France en formats touristiques, ville et pays d'art et de culture, dès lors réduits, en l'espace de quelques pages, à leurs plus sémillants clichés.

Or Taniguchi avait séduit à juste titre un lectorat exigeant, appréciant dans ses récits leur réalisme pointilleux, une incursion dans un Japon - la plupart du temps - tantôt moderne, tantôt traditionnel, restitué pudiquement et méticuleusement dans ses détails. Séduit aussi par le recours au merveilleux balançant la précision du trait, ces court-circuits dans le temps et l'espace, pollution du réel par la psyché d'anti-héros souvent téléguidés par leurs regrets, leur nostalgie ou la culpabilité.

Ces ressorts opèrent dans Les Gardiens du Louvre, avec de superbes planches couleurs dans lesquelles le regard aime se perdre (c'est, selon nous, le grand mérite de ce nouveau titre : on retrouve ce souci du détail propre à l'auteur), mais, semble-t-il, de façon plus maladroite. D'abord parce que la couleur perturbe, à laquelle le lecteur occidental amateur de BD occidentale est plus habitué, certes, mais pas celui de Taniguchi. Grand format, colorisation des vignettes dont la disposition sur la page suit les canons européens, plus sagement disposées, symétriques, homogènes et délimitées. Pourquoi avoir dès lors choisi le sens de lecture japonais, de droite à gauche quand bien même cet ordre n'apparaît pas dans la disposition des vignettes pour chaque page ?...

Il en va de même avec le recours au merveilleux. Si celui-ci prend toujours des formes troubles chez Taniguchi, flirtant souvent avec la névrose ou la psychose, avec l'hallucination pour tout dire, ici, quand bien même on pense aussi à l'hallucination, le rendu est plus grossier : les esprits des œuvres d'art et ceux de leurs créateurs accompagnent le narrateur (un illustrateur solitaire, souffrant d'une forte fièvre) dans son exploration du musée et de la France des grands maîtres : Corot, Van Gogh et une victoire de Samothrace grimée en une sorte d'être hybride, empruntant au vestiaire médiéval, aux "Magical girls" nippones... et à la Leia de George Lucas. Très peu convaincante...

C'est une bande dessinée sortant de sa façon de faire qui semble avoir été demandée à l'auteur, et le lecteur ressent cela, comme une gêne dont le dessinateur essaye de se débarrasser par la sûreté du trait. Le Louvre a comme mangé le créateur avec cet album pour visiteurs qui ne séduira pas forcément les lecteurs de Taniguchi.

Thomas Roman
( Mis en ligne le 06/01/2015 )
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