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Bande dessinéeet Manga  

Dans la prison
de Kazuichi Hanawa
Ego comme X 2005 /  25,00 €- 163.75  ffr. / 237 pages
ISBN : 2-910946-38-X
FORMAT : 15x21 cm

Les douceurs de l’enfermement

Kazuichi Hanawa, qui a connu la prison pendant plusieurs années, réalise à travers cette œuvre insolite un étrange défi : celui de faire vivre de l’intérieur, au détail et à la minute près, l’univers carcéral et l’aliénation inexorable qui en découle. Le manga tourne donc autour de thèmes qui prennent une importance toute particulière – pour ne pas dire capitale - au cours de l’enfermement, tels que la nourriture, les cigarettes ou le bain hebdomadaire minuté, luxe très prisé des prisonniers.

Mais ce témoignage, qui tente de relater au plus près cette douloureuse expérience, pèche par un excès de précision et tourne hélas parfois au catalogue : le descriptif complet des tenues vestimentaires des détenus, saison par saison, et les deux pages entièrement consacrées au menu des fêtes de fin d’année finissent par tuer toute spontanéité. L’auteur, dans son souhait de rester le plus fidèle à la réalité et son obsession de l’exactitude, entache son œuvre d’une monotonie lassante, accentuée par un dessin studieux et travaillé avec maniaquerie. Ancré dans une réalité ni belle ni laide mais juste existante, le scénario se montre ainsi dénué de toute pulsion de vie et révèle la perte d’humanité dont font peu à peu l’objet les prisonniers, ramenés à une conscience immédiate toute animale. Malgré de belles envolées poétiques qui dissipent de temps à autre cette anhédonie résignée et éprouvante pour le lecteur, et qui suscitent un étonnant contraste avec la trivialité du propos, l’ensemble reste bien morne. Trop de style tue le style.

Or la structure même de l’œuvre se révèle largement plus informative sur l’épreuve subie par Hanawa que l’histoire en elle-même. En effet, le souci de l’ordre et le goût de l’organisation dont fait preuve l’auteur trahissent un esprit formaté par des années de prison, huis clos obsédant qui semble encore habiter chacune de ses pensées et influencer chacun de ses actes. Ce conditionnement, difficile à détruire, met le doigt là où ça fait mal : pas de réinsertion possible au sortir de l’incarcération, sorte de cocon paisible où les protagonistes perdent peu à peu contact avec la réalité extérieure et se complaisent dans de petits bonheurs quotidiens sans jamais s’interroger sur les actes qui les ont conduits à cette privation de liberté.

Le manga démonte ainsi le système carcéral, où la vie d’un prisonnier lambda ne se révèle pas pire qu’une autre, et dénonce la désocialisation consécutive à cet isolement prolongé. Les détenus développent une forme de dépendance affective au règlement arbitraire - et donc absurde - de la prison qui rythme leur existence par des rituels extrêmement pesant, et nombre d’entre eux présentent une peur panique de réintégrer le monde libre. Au final, cette prison dorée ne serait-elle pas une certaine image de l’enfer sur Terre ?

Océane Brunet
( Mis en ligne le 28/02/2005 )
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