L'actualité du livre
Bande dessinéeet Réaliste  

Blast (tome 1) - Grasse carcasse
de Manu Larcenet
Dargaud 2009 /  22 €- 144.1  ffr. / 208 pages
ISBN : 9782205063974
FORMAT : 21,6x27,8 cm

Faites entrer l'accusé

Polza Mancini, 38 ans, sans domicile connu, écrivain. Et en garde à vue. L’homme est impressionnant, obèse, grand, à la fois inquiétant et attendrissant. Un long nez pointu surmonté de deux petits yeux pétillants. Face à deux flics qui l’interrogent, Polza se livre et raconte son histoire. Celle d’un homme qui s’est exclu de la société, refusé la compagnie des autres pour mieux se retrouver et rêver à un ailleurs (l’île de Pâques). Un retour à la terre plutôt angoissant et loin d’être de tout repos. La conclusion de cet exil est, on le comprend dramatique puisqu’une femme est aujourd’hui dans le coma, et Polza n’y est a priori pas pour rien. Le mystère planera encore longtemps sur cette affaire puisque l’homme prend son temps pour se raconter. Qu’importe, Blast n’est pas un livre à suspense, mais s’attache à suivre l’itinéraire d’un individu peu commun, singulier et aux convictions fortes. « Mon histoire n’est pas mathématique ! Elle se résume tout entière à la collision entre le hasard et mes… obsessions… », avoue Polza , comme pour mieux attiser l’intérêt sur sa personne et ses agissements. Polza échappe encore aux préjugés, son identité oscillant sans cesse d’une personnalité à l’autre, et cultivant les paradoxes.Et le lecteur d’être complètement attrapé par ce beau parleur, énigmatique, et comme au-dessus de la mêlée. Un fou ? Un criminel ? Ou juste quelqu’un qui a tout compris ?

Incroyable Manu Larcenet, grand bosseur, et qui continue de tomber là où on ne l’attend pas. Il y en a eu du chemin parcouru depuis ses débuts. Larcenet est un artiste, un chercheur. Il aurait pu écrire aujourd’hui le tome 24 des aventures de Bill Baroud, mais préfère ne pas se reposer sur ses lauriers et traque sans cesse la petite bête, l’inspiration nouvelle. Ses albums se suivent donc mais ne se ressemblent pas, et Blast étonne à la fois au sein de son œuvre mais aussi au milieu de la production actuelle. Le récit affiche ainsi de grandes ambitions, tant dans son esthétique que dans sa conduite du récit. Larcenet, qu’il se plante ou non, veut ici frapper fort. Son histoire se développe tranquillement, laissant une large place aux silences, aux émotions et aux sensations.

Et si, malgré ses deux cent pages, le récit tarde encore à convaincre totalement (cinq tomes sont prévus, autant dire qu’on n’en a lu pour l’instant que l’introduction), c’est dans le traitement graphique que Larcenet épate et étonne encore. Derrière un trait filiforme et comme inachevé, suspendu en plein élan, se bousculent les gris et les noirs dans des gerbes de tâches, des seaux de lavis, des giclées de points et des salves de griffures. Plusieurs pages sont admirables, noires, très noires, et d’une grande force dramatique.

Un livre étonnant qui donne résolument envie d’en (sa)voir plus.

Alexis Laballery
( Mis en ligne le 19/12/2009 )
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