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Bande dessinéeet Réaliste  

Les Plumes (tome 1)
de Anne Baraou et François Ayroles
Dargaud 2010 /  18  €- 117.9  ffr. / 96 pages
ISBN : 9782205064650
FORMAT : 29,6x22,5 cm

Jeu de quatre

Sur la couverture, quatre hommes attablés, fixant leurs notes ou le lecteur. Et au premier plan, un chien, un livre dans la gueule. Avec ce soi-disant bandeau rouge qui d’emblée donne le ton : bienvenue en littérature.
C’est la première collaboration d’Anne Baraou et de François Ayroles. Leur union va pourtant de soi ; tous deux se sont déjà côtoyés dans les ouvrages de l’OuBaPo, réflexions ludiques sur la forme bande dessinée. Et si Anne Baraou tire son travail du côté de l’écriture, François Ayroles a beaucoup joué des histoires totalement ou en partie muettes, du héros d’Incertain Silence aux nombreux anonymes des Penseurs. La combinaison de ces deux talents donne donc naissance à la mise en scène rigoureuse de dialogues savoureux.

Ces quatre personnages sont écrivains. Insatisfaits des ors de l’édition, ils se réfugient dans un bar déserté pour y déverser leur bile à l’égard de tout le reste du monde. Quelques noms idolâtrés, Musil, Jarry, et un mépris constant pour leurs contemporains. Ils manifestent leur ironie vis-à-vis des vernissages hypocrites et des créations télévisuelles à plusieurs : c’est qu’ils cherchent coûte que coûte à maintenir les fondations de leur tour d’ivoire à quatre.
Mais les fondations tremblent, et chapitre après chapitre, on voit l’unité du quatuor se fendiller. Là où la première séquence nous montrait quatre personnages interchangeables, on distingue peu à peu des identités distinctes : Greul le cynique, Malard l’écrivain à succès, Alpodraco séduisant et high-tech et Inscht le jeune créatif. Pas toujours d’accord.
Les dangers, ce sont les réunions marketing, la sirène hollywoodienne, l’arrivée d’un disciple servile et surtout la fermeture du Rendez-vous des Amis. Les vicissitudes du corps, aussi, les obsèdent. C’est l’adresse de François Ayroles, qui fait peu évoluer les visages, laissant le soin des personnalités aux dialogues tumultueux d’Anne Baraou, mais qui concentre son travail sur la variété des corps, dans un froid catalogue de gestes et de mouvements de bras. Tous ces hommes voudraient se transformer en purs esprits, et se font rattraper par leur chair.

Il y a une grande ironie à raconter ces aventures en bande dessinée, tout en se moquant amèrement des scénaristes et autres dialoguistes. Chez Dargaud qui plus est, quand les deux auteurs sont des habitués de L’Association. Cela leur permet de prendre de la distance avec leurs personnages, quand on est si tenté de leur octroyer une bonne part autobiographique.
Car tout cela sonne juste. Les tirades qui nous sont adressées résonnent comme des vérités littéraires, et on aimerait garder une part du souffle qui se dégage de ce style. La saillie contre le style journalistique des critiques n’est d’ailleurs pas la moins pertinente.

Ironie mordante ou blessure intime, Les Plumes est un condensé d’humour et de finesse, tout le long duquel on ne cesse de sourire. Rêverie autour d’un idéal de l’écriture, dont on nous donne un petit aperçu amusé en même temps.

Clément Lemoine
( Mis en ligne le 04/10/2010 )
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