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Bande dessinéeet Réaliste  

La Pluie
de Philippe de Pierpont et Eric Lambé
Casterman - Ecritures 2005 /  16.75 €- 109.71  ffr. / 160 pages
ISBN : 2-203-39606-7
FORMAT : 17 x 24 cm

À la dérive

C’est l’histoire d’un couple et de la lente et progressive distance qui s’installe entre les deux partenaires. Elle est sage-femme et travaille de nuit, il est maître-nageur à la piscine municipale. Ils ne font que se croiser, passent des morceaux de temps ensemble avant d’être à nouveau séparés. Elle veut un enfant, lui non. Et l’horizon s’obscurcit alors, comme un mauvais signe, un présage inquiétant. La première goutte de pluie tombe. Puis les autre suivent. L’eau tombe sans arrêt pendant des mois entiers, rendant les gens fous, tristes, seuls. Météo détraquée qui ne va rien arranger aux affaires du couple, et qui va au contraire précipiter les choses, pour donner à l’éloignement un caractère irréversible. Les histoires d’amour finissent mal… en général.

Avec La Pluie, de Pierpont et Lambé (déjà auteurs de Alberto G., Fremok, 2003) signent un album extrêmement original, adoptant un ton résolument personnel et d’une grande sensibilité. Avec un minimum de textes, de Pierpont rend cette histoire d’un couple à la dérive a priori banale totalement singulière et passionnante. La thématique de l’eau y est déclinée sous toutes ces formes, mais ne prenant jamais le pas sur l’émotion et la poésie. Les non-dits, les silences interminables, la peur de perdre l’autre liée à une angoissante incapacité à faire changer les choses… tout est subtilement retranscrit, avec simplicité et vérité, donnant au passage de précieux moments de bande dessinée (le début sur la plage, la rencontre à la piscine, et puis ce dénouement à la fois romanesque, fantastique et bouleversant).

Atypique, le dessin d’Éric Lambé a, une fois la surprise passée, un pouvoir d’évocation puissant. Le dessinateur ne montre que peu les visages de ses protagonistes, préférant insister sur les détails et multipliant ainsi les inserts : découper le corps et les décors pour mieux appréhender le tout. Et surtout, principale caractéristique de ce trait, un jeu constant sur la reconnaissance des choses, brouillant volontairement contours et surfaces, obligeant ainsi le lecteur à adopter un rythme de lecture posé et apprécier à sa juste valeur la progression du récit. Avec cette mise en scène brillante, les auteurs installent une ambiance très particulière, mélange de mélancolie, d’espoir et de nostalgie.

Et puis enfin il y a cette pluie, d’abord discrète, insignifiante et qui se transforme peu à peu en véritable esclavage climatique, donnant des allures de fin du monde à ce qui n’était au départ qu’un drame de l’intime. Le symbole est devenu principal protagoniste (jusqu’à donner son titre à l’ouvrage), faux deus ex machina qui oblige les êtres à se dévoiler totalement, à aller au bout de leurs actes et de leur histoire.

Un album fort et intelligent, et saluons au passage la volonté des éditions Casterman de continuer à faire d’« Ecritures » une collection riche et variée, accueillant auteurs confirmés et jeunes artistes, pour des bandes dessinées toujours exigeantes et créatives.

Alexis Laballery
( Mis en ligne le 02/07/2005 )
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