L'actualité du livre
Bande dessinéeet Réaliste  

Jacob le Cafard
de Will Eisner
Delcourt - Contrebande 2006 /  13.95 €- 91.37  ffr. / 144 pages
ISBN : 2-7560-0385-9
FORMAT : 17,5x26 cm

L’essence de la vie

Les collectionneurs vont encore s’arracher les cheveux puisqu’il s’agit là d’une nouvelle réédition (et d’une nouvelle traduction) après celle des éditions USA et de Glénat. C’est Delcourt qui reprend donc le flambeau et semble parti, après Un pacte avec Dieu et Fagin le juif et en attendant Dropsie Avenue, pour republier une grande partie de l’œuvre de Will Eisner. On reprochera à cette nouvelle édition un titre peu subtil et même quelque peu déplacé. Si le titre original, A Life force n’est pas plus heureux, il avait au moins le mérite d’évoquer un aspect positif et plus humain… Mais l’essentiel est évidemment ailleurs et ce récit reste l’un des chefs-d’œuvre de son auteur, une belle histoire émouvante et engagée, faisant la part belle aux individualités tentant d’échapper aux grands rouleaux compresseurs économiques ou politiques.

L’action se situe dans les années 30, dans le Bronx, et plus précisément autour du 55 de l’avenue Dropsie. Là vivent plusieurs personnes qui tentent de survivre à la Grande Dépression qui vient de frapper et qui touche tout le monde. Jacob Shtarkah est de ces pauvres et honnêtes gens sur qui la foudre plus mercantile que divine vient de tomber. Immigré juif en terre quasi promise, le voilà sans travail et désespéré. Toisant un cafard, le voici commençant à se poser des questions sur sa condition, le sens de la vie et sur les rêves qu’il a laissé derrière lui. Son passé va d’ailleurs refaire surface lorsqu’une ancienne fiancée, Frieda restée en Allemagne le contacte : là-bas, les exactions contre les juifs sont chaque jour plus intenses et la vieille femme cherche à rejoindre l’Amérique.

Comme toujours chez Will Eisner, et plus particulièrement dans ce cycle, l’attention est portée sur les petites gens. La grande Histoire se mêle aux destinées quotidiennes, aux petits drames qui façonnent une vie. Autour de Jacob, les seconds rôles se multiplient, chacun tentant de s’en sortir à sa façon, parfois plus ou moins honnête. Il y a ainsi l’artisan généreux, le jeune homme ambitieux et combatif, l’autiste qui se terre dans ses murs, le bandit peu scrupuleux… Tous gravitent autour de ce Bronx vivant et bruissant de la continuelle rumeur de tous ses habitants.

On reconnaît un album de Will Eisner dès la première planche aperçue. Un dessin enlevé et précis, réaliste mais jamais froid. Et surtout une mise en page qui refuse les cadres trop serrés et qui joue pleinement du mouvement et du dynamisme jusque dans la typographie employée. Jacob le Cafard recèle de ces effets de découpage, jamais tape-à-l’œil, mais qui sont constamment employés dans un souci d’efficacité et d’expressivité. Certains reprocheront peut-être à l’album un côté un peu bavard, mais c’est que Will Eisner aime à placer ses personnages dans un contexte précis, leur donnant à chacun une épaisseur et une existence propre. Même une silhouette ne faisant qu’une rapide apparition a droit à son identité et une réelle présence. Les seconds rôles passent au premier plan, et c’est en cela que l’œuvre de Will Eisner révèle un caractère profondément humain. À (re)découvrir sans hésiter.

Alexis Laballery
( Mis en ligne le 04/11/2006 )
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