Bande dessinée
Réaliste de Stephen Desberg et Will
Dupuis - Aire Libre 2007 / 30 €- 196.5 ffr. / 208 pages
ISBN : 978-2-8001-3999-9
FORMAT : 23,8x31 cm
Touffe et tondues
En complément de l’intégrale thématique de Tif et Tondu, les éditions Dupuis publient un recueil de l’œuvre de Will des années 1990, allié à son scénariste Desberg pour des travaux un peu moins tous publics.
Le dessinateur trouvait là une occasion pour laisser libre cours aux portraits féminins que le journal de Spirou ne pouvait pas publier. La comtesse Kiki, dans Tif et Tondu, et Calendula, dans Isabelle, avaient déjà prouvé que ce ténor de la bande dessinée belge ne maîtrisait pas seulement les voitures et les belles maisons, mais qu’il savait aussi donner à ses personnages ce petit quelque chose qu’on appelle la séduction. Dans les trois albums qui composent le recueil réédité aujourd’hui, il s’en donne à cœur joie. Cette Trilogie avec dames n’en est pas pour autant un livre érotique, comme le suggèrerait presque la couverture. Will et Desberg restent très sages, conservant une élégance de bon aloi pour jouer de l’esthétique plus que de l’excitant. Si les histoires qui nous sont racontées ont toutes trait à l’amour, à sa découverte ou à ses aléas, elles ne sont jamais de simples prétextes.
Le Jardin des désirs, premier album de la lignée, raconte sous la forme de courts épisodes la vie d’un séducteur de la naissance à l’âge adulte. Mickey Loverose vit dans une Angleterre début de siècle où l’amour charnel se cache dans les corridors ; il y trouve les premières traces de la passion véritable, idéal sur la piste duquel il parcourt le monde.
Des trois albums, La Vingt-Septième Lettre bénéficie du scénario le plus abouti ; Desberg s’éloigne plus radicalement du décor libertin pour nous raconter l’ascension du nazisme, vécue par un enfant élevé dans une maison close. L’éducation sentimentale du jeune Fred Capitole s’accompagne donc de son entrée en rébellion, étonnante prise de conscience politique de l’acte amoureux.
Enfin, L’Appel de l’Enfer rassemble trois récits épars, trois hommes éprouvés que la magie amène à prendre l’amour en face.
Il est amusant de suivre ces auteurs traditionnels dans une aventure nouvelle, où ils prouvent d’emblée leur savoir-faire. Il n’est plus question de morale, ni d’héroïsme : les héros sont parfois machos, naïfs ou haïssables, cela n’empêche pas de dresser un portrait, juste ou réducteur selon les épisodes, du sentiment amoureux.
On apprécie surtout le dessin de Will, qui livre dans ces albums ses dernières, et ses plus belles vignettes. La couleur directe relie à la peinture une forme héritée de l’école de Charleroi, pour aboutir à des lignes rondes et chaudes. Des grands décors mélancoliques aux personnages presque caricaturaux, on se laisse emporter par le style. Même L’Appel de l’Enfer, à la narration moins fluide, comprend encore quelques très belles pièces.
Après cette trilogie, Will ne retrouvera pas le feu sacré. Incapable de revenir au premier degré de Tif et Tondu, mais lassé peut-être tout simplement de sa déjà longue carrière, il ne travaillera plus que sur un seul album, resté inachevé. Une raison en soi d’apprécier la venue de cette réédition, qui bénéficie d’une préface et de planches renumérisées.
Clément Lemoine
( Mis en ligne le 05/11/2007 )
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