Bande dessinée
Fantastique de Stephen Desberg et Marc Hardy
Dupuis 2009 / 13.50 €- 88.43 ffr.
FORMAT : 23,5x31,2 cm
Tome 1 Au plus haut des cieux
Isbn : 978-2-8001-4115-2
Tome 2 La Nuit du grand bouc
Isbn : 978-2-8001-4165-7<
Le très nouveau Testament
Avant de raconter avec Cauvin les aventures gaguesques de Pierre Tombal, Hardy signait, dans le même Spirou, Arkel, une épopée de religion-fiction scénarisée par Desberg, surprenante dans les pages d’un journal pour la jeunesse. Alors que sa série actuelle est inattendue par son traitement obsessionnel de la mort, quoique la formule soit devenue depuis vingt ans un peu routinière, Arkel détonnait surtout par la transformation qu’elle pratiquait sur la religion catholique.
Arkel est un ange. Mais, ce qui est plus inhabituel, il porte un blouson de cuir et utilise une fusée à réacteur pour parcourir la distance qui sépare son Paradis de l’Envers, où le conduisent certaines de ses missions. Le credo biblique est donc soumis à un décalage certain, qui rappelle plus la science fiction ou l’heroïc fantasy que la théologie. De nombreuses hérésies, dont la cathare, semblent avoir macéré dans un bouillon de culture contemporaine. Si on ajoute à cela un goût pour les jeunes femmes dénudées et les monstres sanguinaires, on comprendra que la série n’était pas la plus conventionnelle du journal Spirou, issue d’une maison traditionnellement catholique et qui authentifiait ici son passage dans notre contemporain laïque.
Vingt-cinq ans après avoir mis de côté leurs personnages, Hardy et Desberg reprennent l’aventure au point précis où ils l’avaient laissé. Dupuis réédite donc « Estelle », le dernier tome d’Arkel jamais paru en librairie, et dans la foulée un nouvel album, qui en termine l’histoire.
Si on ne peut que se réjouir de cette sortie, on s’étonnera quand même que la grande maquette des albums se positionne franchement adulte, rompant avec l’ambiguïté qui faisait la richesse de la publication originelle. L’absence en librairie des premiers tomes sera d’ailleurs aussi regrettée par le nouveau lecteur, qui se retrouvera projeté dans cet univers sans bénéficier des épisodes d’exposition.
Au-delà de ce manque éditorial, la nouvelle aventure est loin de démériter. Le dessin de Hardy, grincement joyeux et enlevé, a bénéficié de ses années d’expérience ; il sait exploiter dans le second volume l’espace plus large qui lui est accordé. Quant à Desberg, il approfondit avec justesse la logique de la série.
Dans ce diptyque au suspense bien mené, Arkel retrouve Estelle, une amie d’enfance qui ressemble fort à une ex. Entretemps, celle-ci a mal tourné, et là voilà condamnée à perdre son statut d’angèle pour devenir diablesse. En l’accompagnant dans sa déchéance, Arkel se compromet dans une fuite aventureuse entre ciel, terre et envers.
Le véritable thème, c’est le désir, sans cesse abordé ici, et avec de plus en plus de clarté. Les anges ont toujours la tentation du péché, l’envie de sauter dans l’Envers pour plus de sensations et plus de chair. Mais l’ombre est un lieu de souffrance, où règne l’injustice ; et le paradis un lieu qu’on ne cesse de désirer. L’errance entre la tentation du mal et le goût du bien, c’est ce qui sous-tend bien d’autres aventures classiques de la bande dessinée, mais sans la même clarté. Dans sa façon de restituer les sources catholiques de ces images païennes, cette série livre un travail intéressant au-delà de la facture traditionnelle tout à fait efficace.
Clément Lemoine
( Mis en ligne le 06/07/2009 )
www.parutions.com
(fermer cette fenêtre)