L'actualité du livre
Bande dessinéeet Fantastique  

Omni-Visibilis
de Lewis Trondheim et Matthieu Bonhomme
Dupuis 2010 /  19 €- 124.45  ffr. / 160 pages
ISBN : 978-2-8001-4822-9
FORMAT : 18x24,5 cm

La folle journée

Jusqu’à présent, Matthieu Bonhomme n’était pas connu pour son illustration de la période contemporaine. De la préhistoire aux grands baleiniers du début du XXe siècle, il s’est fait sa réputation dans la restitution du passé. Pour le plonger dans notre turbulent XXIe, il fallait rien moins qu’un scénario de Lewis Trondheim, auteur aux multiples casquettes et aux inventions débordantes.

Nous voilà en compagnie d’Hervé, un jeune urbain sans relief. Le problème, c’est que nous ne sommes pas seuls. Un matin, Hervé découvre que tout le monde voit ce qu’il voit. Entend ce qu’il entend. Reçoit les mêmes coups que lui en instantané. Dans la peau de Hervé Boileau à la puissance mondiale, en somme.
Le point de départ est simple. Tout le récit qui suit découle de cette idée originale, comme un homme invisible à l’envers. La réaction des amis et des parents, du patron de café qui fait la pub de son commerce, des passants qui croient passer à la télé, des petites frappes qui veulent le kidnapper et des inévitables puissances mondiales qui cherchent à s’approprier son pouvoir. Le tout se décline le long d’une augmentation des ennuis en escalade, jusqu’au dénouement aussi brutal qu’attendu.

Cette tranche de vie pas comme les autres est racontée avec brio : personnages bien sentis dès la première case, dialogues percutants, rigueur et efficacité du dessin. On rit bien volontiers tout au long de cette « comédie burlesque » au comique de caractère bien senti. Lewis Trondheim montre qu’il n’a rien perdu de son mordant.

On peut s’interroger sur les interprétations à donner de ce pouvoir. Déjà en 2006 Trondheim nous avait raconté l’histoire d’un inconnu propulsé au pinacle de la gloire et de ses désagréments dans Célébritiz : il faut croire que le thème lui parle, lui qui est devenu depuis quelques années le pape de la bande dessinée originale et humoristique. Pourrait-il dire : « Hervé Boileau, c’est moi ? » Donner un nom d’écrivain à son personnage n’est pas anodin. Et peut-être s’agit-il ici de s’interroger sur l’angoisse d’être, finalement, trop bien compris. Quand chacun de ses gestes, chacune de ses paroles prend une ampleur démesurée, il y a de quoi s’inquiéter. Et Trondheim a déjà montré, avec l’affaire Frantico, qu’il ne lui déplairait pas de redevenir un anonyme.
Mais ce récit nous parle aussi pour d’autres raisons. Parce qu’à l’heure de Facebook et de Google Streetview, le refuge de la sphère privée n’en finit pas de rétrécir. Petite fable sur les enjeux et les dangers de la médiatisation instantanée, Omni-Visibilis traite de notre époque, fantastique en plus. L’homme invisible a incarné le vingtième siècle, qui sait si celui-ci n’incarnera pas le prochain ?
Dans ce contexte, on regrette un peu que le récit ne se disperse pas plus, refusant de sortir du point de vue d’Hervé pour s’intéresser à ses conséquences collectives. Et on se dit que décidément, cette idée-là pourrait avoir de l’avenir.

Clément Lemoine
( Mis en ligne le 07/09/2010 )
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