L'actualité du livre
Bande dessinéeet Fantastique  

La République du catch
de Nicolas de Crécy
Casterman 2015 /  22 €- 144.1  ffr. / 220 pages
ISBN : 978-2-203-09558-8
FORMAT : 15x21 cm

Règlement de comptes à Yokai corral

Avec une couverture médiatique conséquente, La République du Catch fait partie des albums qu’il est difficile de rater ce semestre. C’est surtout le grand retour de Nicolas de Crécy à la bande dessinée, cinq ans après le dernier tome de Salvatore.

Qualifié de manga par son éditeur, ce nouveau livre rejoint L’Autoroute du soleil ou La Mouche sur le rayon très privé des publications d’auteurs français par des éditeurs japonais. Prépublié pendant presque un an dans Ultra Jump, La République du Catch fait même l’objet d’une sortie en recueil simultanée dans les deux pays. Pourtant, le livre n’arbore pas de signe ostensible de cette origine japonaise, si ce n’est quelques idéogrammes gaufrés sur la couverture intérieure et cachés par la jaquette. Il faut approfondir la lecture pour retrouver des thèmes spécifiques à la culture japonaise et dont de Crécy a fait ici son sujet : les mafias et les yokai.

Le dessinateur se réjouit à dessiner des monstres, fantômes ou fantasmes, dans un récit où rien ne meurt vraiment. En jeu, l’opposition entre la musique et le catch : la faiblesse métaphysique contre le jeu sans état d’âme, l’esthétique contre la force brute. La troupe des ratés rassemble un cycliste aux bras trop mous, une boule de graisse née des liposuccions ou un magicien maladroit. Cette poubelle du monde, c’est une ode à la faiblesse. Ici, la virilité n’est qu’un masque, impressionnant certes, mais forcé de céder devant la fascination du dégoûtant et du malade. Le problème du héros n’est pas sa petite taille, c’est qu’il choisit encore et toujours la recherche de la force, au risque de la solitude. Quand ses amis lui proposent, à de nombreuses reprises, une alliance entre déformés, il leur préfère le rêve d’une jolie catcheuse énergique.

Car Mario ne pense qu’à Bérénice, malgré son regard de pitié. Il pense à elle alors qu’il écoute son ami manchot faire des merveilles au piano, et il y pense encore alors qu’il essaye d’échapper aux terribles mafiosi et à leur tueur à gages, qui veulent remplacer la boutique de musique par des machines à sou. Mario est un héros malgré lui, qui subit l’action tout le long du récit, mais dont les rares cheveux, quant ils se détachent et volent au vent, lui dessinent une houppette digne de Tintin.

Sans doute en l’honneur du manga, dont on dit qu’il ne pratique pas l’ellipse, mais aussi parce qu’il s’appuie pour le premier chapitre sur un ancien storyboard, de Crécy décompose l’action au maximum. Dans ses dessins, mais aussi dans ses textes, découpés de vignette en vignette en une suite de courtes propositions. Le résultat forme un fleuve fluide, un récit extrêmement digeste dont la parution originelle en épisodes n’apparaît plus. Ce livre-là se lit d’une seule traite.

Les personnages y suivent des trajets burlesques, véhiculés comme ils peuvent ou comme ils rêvent. Au volant d’une voiture, sur le siège d’un piano, monté sur roulettes ou aux commandes d’un vélo dont on ne peut pas tenir le guidon. On est étonné du rythme trépidant de la narration. Mais c’est aussi que la musique se cache partout : l’impitoyable mercenaire se nomme Piccolo et le chef de gang chantonne secrètement Vive le vent.

Malheureusement, le dessinateur français n’a pas trouvé le succès au pays du soleil levant. On sait que les expériences tentées par Shueisha dans les années 1990 avaient déjà tourné court. De Crécy ne prétendait pas faire du manga de genre, même de cible seinen, aussi pratiquait-t-il son ton habituel, ironique et distant. Il n’est pas certain que ce second degré plaisait aux lecteurs japonais. Regrettable conséquence, le volume s’arrête sur un suspense réel et le dessinateur annonce dans le dossier de presse de nombreuses thématiques sur lesquelles il aurait aimé renchérir.

Série inachevée, La République du Catch n’en est pas moins un album jubilatoire qui détonne dans la production générale.

Clément Lemoine
( Mis en ligne le 20/05/2015 )
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