L'actualité du livre
Bande dessinéeet Fantastique  

Julius Corentin Acquefacques, prisonnier des rêves (tome 5) - La 2,333e dimension
de Marc-Antoine Mathieu
Delcourt 2004 /  12.5 €- 81.88  ffr. / 58 pages
ISBN : 2-84789-160-9
FORMAT : 23 x 31 cm

En quête de profondeur

Après neuf années d’absence et une dernière histoire qui faisait littéralement tourner la tête à ses lecteurs (L’Epaisseur du miroir), l’arpenteur de rêves le plus célèbre de la bande dessinée – après l’inévitable petit Nemo – revient pour une cinquième aventure.

Cette fois Julius Corentin Acquefacques, modeste fonctionnaire employé au ministère de l’Humour, fait le rêve de trop. Celui qui consiste à rêver que l’on rêve ! Et dans le monde créé par Marc-Antoine Mathieu, ce genre d’onirisme au carré n’a rien d’anodin. Les circonstances sont en effet dramatiques pour tout ce petit monde de papier : un point de fuite est perdu et toutes les lignes qui devaient le rejoindre sont maintenant orphelines. À son réveil, le monde de Julius est devenu sans épaisseur, ou plutôt une épaisseur minime qui l’empêche de tomber dans l’invisibilité. C’est la fameuse dimension 2,3333…(«pour être précis») qui fait de Julius et de ses concitoyens des êtres aussi fins que des feuilles de papier. Le fautif n’aura pas d’autre choix que de devoir réparer son erreur, et voilà donc l’aventurier en pyjama parti pour l’inquiétant Inframonde chercher ce point de fuite égaré.

Une fois de plus, Mathieu a mis au point une intrigue diabolique pour son héros fétiche. Les niveaux de lecture sont multiples et la motivation est toujours la même : aller au-delà de la bande dessinée classique et ce, dans son dispositif même. En démonter les codes narratifs et graphiques, déboulonner chaque règle, déformer la linéarité, dépasser les limites du média. Depuis L’Origine, chaque aventure de Julius Acquefacques est ainsi un moyen pour son auteur d’élaborer une bande dessinée en train de se faire, un album qui se regarde lui-même. Les mises en abyme, multiples et toujours maîtrisées, sont encore au rendez-vous et interpellent le lecteur avec humour. Ainsi, ici, des références/hommages à Trondheim et aux Cités obscures de Schuiten et Peeters (on sait depuis Mémoire Morte que Mathieu est un citoyen honorifique d’Urbicande), et encore ce superbe passage où Julius croise le chemin de personnages restés à l’état d’esquisses crayonnées, des ébauches qui n’auront jamais la chance d’être encrées.

Mais le clou de cet album reste évidemment sa dernière partie, composée de planches en relief. Une fois les classiques lunettes à filtre bleu et rouge chaussées, voilà le lecteur embarqué dans une troisième dimension virtuelle somptueuse, où chaque case – une fois le mal de tête chassé et l’accoutumance gagnée – est alors un petit tableau réussi plein de coins et de recoins, de jeux sur le cadre et la profondeur. Loin d’être un simple gadget rigolo, la vision 3D s’accorde ici parfaitement avec l’univers de Mathieu toujours en quête d’une expérience narrative et visuelle inédite, en parfaite adéquation avec la thématique de toute son œuvre (relire pour la 154ème fois Le Dessin). Et même si ce dernier opus des aventures de Julius n’est pas le meilleur de la série (on pourra lui préférer l’indépassable Processus), l’album est une fois de plus une grande réussite, aussi intelligent que drôle, aussi ambitieux que ludique. En attendant la prochaine étape !

Alexis Laballery
( Mis en ligne le 27/03/2004 )
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024



www.parutions.com

(fermer cette fenêtre)