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Bande dessinéeet Fantastique  

Les Sous-sols du Révolu - Extraits du journal d'un expert
de Marc-Antoine Mathieu
Futuropolis Musée du Louvre 2006 /  16 €- 104.8  ffr. / 62 pages
ISBN : 2-75480-050-6
FORMAT : 25x25,5 cm

L’ascension vers le bas

Il y a au moins deux façons de visiter le musée du Louvre. La première consiste à s’armer de guides pratiques et de plusieurs plans et de suivre un chemin précis et cohérent préparé à l’avance. La deuxième, beaucoup plus excitante, revient à se perdre, comme dans une ville étrangère dont on ne connaîtrait rien que des bribes de lieux aperçus sur quelques photos. S’égarer dans les couloirs, passer de la salle des sarcophages égyptiens aux grandes toiles des peintres de Louis XIV, croiser Samothrace et quelques Arcimboldo, déambuler entre un hermaphrodite endormi et une Vénus de Milo (ou d’ailleurs) qui se déhanche. Bref, multiplier les découvertes, s’enivrer de connaissances et user son regard autant que ses talons. Le Louvre permet de telles échappées belles, et l’album de Marc-Antoine Mathieu suggère que tout cela n’est encore rien en comparaison de ce que le musée recèle encore de secrets enfouis dans ses entrailles.
Dans Les Sous-sols du Révolu, un expert, Eudes le Volumeur (une anagramme comme Mathieu en aligne malicieusement une dizaine tout au long du livre) est chargé de faire l’inventaire de ce lieu, de quantifier, mesurer et rendre compte de quoi est faite cette impressionnante cité obscure. Voilà donc le cartographe, accompagné de son assistant Léonard, parti arpenter méthodiquement les sous-sols de ce musée, croisant à chaque niveau une particularité de ce lieu et dévoilant peu à peu d’insoupçonnables coulisses. Mais la mission n’est pas si simple car plus on descend, plus les espaces s’agrandissent et il faudrait toute une vie d’homme pour visiter la totalité de l’édifice…

Marc-Antoine Mathieu et le Louvre étaient faits pour se rencontrer ! L’auteur des aventures de Julius Corentin Acquefacques a montré tout au long de son œuvre son attachement pour les endroits labyrinthiques, les passages secrets menant vers d’autres lieux insoupçonnés, les espaces vertigineux tutoyant l’infini, et les administrations absurdes. Et chacun de ses albums, de L’Origine au Dessin en passant par Mémoire morte ou La Mutation est une réflexion sur l’art, la représentation, les connaissances humaines et leur classification… Le musée, lieu où se télescopent les œuvres et les époques, vaste bâtisse qui a traversé les siècles et connu plusieurs bouleversements architecturaux, était donc l’îlot idéal où Marc-Antoine Mathieu pouvait poser quelque temps son regard et ses pinceaux. On retrouve ainsi dans Les Sous-sols du Révolu plusieurs idées déjà approchées par l’auteur auparavant, comme si cet album était son propre musée, son exposition permanente dans laquelle on y retrouverait la plupart de ses obsessions. Autre astuce, c’est dans les sous-sols, dans ce qui n’est pas accessible au public, que Mathieu choisit d’établir son circuit de visite. Le reste, la partie immergée de l’iceberg, étant forcément toujours présent, en creux, à travers les explorations d’Eudes.
En une quinzaine de chapitres, Mathieu aborde les grands thèmes liés à l’activité muséale : la restauration, les copies, les inventaires, la place qui manque etc. Chaque niveau parcouru par Eudes est l’occasion d’approcher une nouvelle question, de façon toujours très ludique et stimulante. Mathieu déborde ici d’inventivité et multiplie les mises en abîme, les jeux de mots, les références et les expérimentations graphiques. Ainsi, lors d’un passage encombré par des moules de sculpture, la page est peu à peu plongée dans le noir total. Plus loin, les cadres des tableaux accrochés au mur sont l’occasion d’une métaphore avec la planche de bande dessinée. Rien n’est laissé au hasard, chaque vignette est soigneusement composée et les mots prononcés cachent souvent plus d’un seul sens. Et comme toujours chez Mathieu, la réflexion s’accompagne toujours d’un humour souvent proche de l’absurde. On retiendra ici le fameux cours donné aux gardiens de musée avant qu’ils ne montent là-haut, œuvrer dans les salles… Au final, comme dans Le Dessin ou L’Ascension, la cartographie du lieu conduit à quelques surprenantes découvertes, et amène à repenser complètement l’endroit…

Si la construction de cet album, très carrée (jusque dans son format) empêche une véritable intrigue de prendre forme, l’exercice a énormément de style et Mathieu s’accommode parfaitement de cette commande. Après le sublime Période glaciaire de Nicolas de Crécy, l’album de Marc-Antoine Mathieu, deuxième ouvrage de cette collection consacré au musée du Louvre, est donc un nouveau lieu dans lequel on aimera se perdre.

Alexis Laballery
( Mis en ligne le 07/11/2006 )
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