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Bande dessinéeet Science-fiction  

Transperceneige, tome 3 - La traversée
de Jean-Marc Rochette et Benjamin Legrand
Casterman 2000 /  10.53 €- 68.97  ffr. / 70 pages
ISBN : 2-203-33489-4
FORMAT : 22 X 31

Idées noires et désert blanc

A la suite d'une glaciation de la Terre, les quelques survivants se retrouvent dans un train qui court droit devant lui, entraînant dans une immensité glacée ce qu'il reste de l'humanité, de ses passions et de ses moyens de subsistance. Voilà le canevas de base du "Transperceneige", la série inaugurée il y a désormais treize ans par Rochette, secondé alors par Lob au scénario. Le train, désormais scénarisé par Benjamin Legrand, suit lentement ses rails, puisqu'on en arrive au troisième volume. C'est dire si cet album échappe aux pressions commerciales : le choix du noir et blanc, la sécheresse du propos confortent chez le lecteur ce sentiment d'une liberté assez rare dans l'élaboration d'une BD.

En dehors des modes toujours, le trait de Rochette: très loin des auteurs quadragénaires, ceux de sa génération, il s'évertue à dessiner comme à la fin des années soixante ses aînés Forrest ou Gillon. Du coup, cette histoire futuriste écrite en 2000 nous renvoie curieusement aux hypothèses élaborées il y a quarante ans quant à notre civilisation contemporaine. Un certain maniérisme dans l'usage charbonneux du fusain, dans les lavis très contrastés, tout concourt à créer une ambiance désuète qui n'est pas un des moindres atouts de cette histoire.

Et cette dimension poétique, parfaitement résumée dans l'énigmatique et glaciale couverture, est indispensable à l'équilibre de l'album. L'argument est en effet trop mince pour souffrir un traitement conventionnel. L'expérience qui consiste à réduire une société à quelques individus, enfermés dans un lieu parfaitement clos et sans espoir d'en sortir ("c'est donc cela, l'Enfer ?") a trop souvent été conduite, sur des rats ou des téléspectateurs, pour ne pas être lassante. Les auteurs évitent ce piège en choisissant de concentrer leur propos sur les conséquences politiques de l'enfermement.

Aussi peu étonnant que cela paraisse, une température ambiante de -87° C ne fait que renforcer les structures de la société du spectacle, lequel apparaît ici comme l'intermédiaire obligé du pouvoir dans l'asservissement permanent des populations. L'abrutissement est alors le garant de la cohésion sociale, et on murmure dans les wagons lorsqu'une âme droite tente de supprimer les voyages virtuels offerts dans les jeux télévisés. Mais le plus intéressant n'est pas tant dans cette description de la servitude volontaire que dans la peinture sans aménité de l'échec de toute tentative démocratique.

Il n'y a pas plus de 2000 personnes réfugiés dans le train, on pourrait dans ces conditions tenter la démocratie directe, non représentative. Et l'impossibilité même d'un tel retour aux sources est inscrit graphiquement dans l'organisation spatiale du train : il y est par définition impossible de s'y tenir sur un même rang. Quelques cases très fortes nous montrent la tentative avortée : ainsi, pour traverser l'espace fragmenté et inégalitaire du train, véritable matrice de la société, l'apprenti démocrate, débarrassé des dictateurs, doit se frayer un chemin ouvert par des gardes du corps.

Le pessimisme des auteurs n'est il qu'anticipation, ou doit-on lire la fable comme un constat désenchanté sur tout exercice du pouvoir ? Rejoindre le train des amateurs de ce bel album, qu'en toute logique on ne devrait pas trouver dans les kiosques des gares, vous offrira peut-être un début de réponse.

Nicolas Balaresque
( Mis en ligne le 04/01/2000 )
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