L'actualité du livre
Bande dessinéeet Science-fiction  

La Mère des victoires
de Enrique Fernández
Delcourt - Neopolis 2008 /  12.90 €- 84.5  ffr. / 64 pages
ISBN : 9782756006444
FORMAT : 24x32 cm

Le prix du danger

Cela devait arriver : la guerre est devenue un jeu télévisé qui passionne les téléspectateurs. Moralité, les principales chaînes de télévision se sont transformées en industriels de l’armement high tech, fournisseurs de canons pour une chair toujours bonne à mourir… Tout cela en prime time, pour le plus grand plaisir du bon peuple. Les héros de cette guerre (pourquoi ? contre qui ? ) sont des stars de la télé-réalité, relookés pour « passer » à l’écran à coup de subventions publicitaires. Dieu que la guerre est jolie sous les néons. Sauf pour le capitaine Kataoka, pilote de « panzer » (un char monté sur pattes, un peu comme un gros scarabée agile, blindé et surarmé), surnommé « Katana », que tout ce cirque médiatique agace… genre héros maussade et peu impliqué dans les ventes du dernier soda à la mode. Alors lorsque la « Mère des victoires », la prochaine merveille panzer high tech se prépare à sortir pour un premier passage télé, Katana se fait griller la politesse par un jeunot, pistonné par sa maman, une commandante aussi belle qu’influente. De quoi énerver un peu notre vétéran pas commode ! Et si en plus, la-dite commandante est une ex de Katana, le genre un peu grincheuse, le ton va monter. Heureusement, la guerre ça défoule !

Enrique Fernandez, après avoir livré une version très réussie du Magicien d’Oz(Delcourt), passe désormais à un autre univers, plus adulte, celui de la guerre spectacle, tarifée, futuriste, un peu comme le très prometteur Cyclopes (Matz & Jacamon, Casterman), autre variation futuriste (et plus intimiste) sur le même thème. Et il y avait un défi à réaliser, à partir d’un monde futur complexe, un one shot de qualité, pas trop incompréhensible à force d’être allusif : défi relevé, ô combien ! Très riche, très dense, cet album se dévore comme un bon cru de SF, alternant combats, intrigues, complots, infiltrations et humour léger, le tout servi par un graphisme très original, extrêmement séduisant, variant entre réalisme et alph’art, oscillant constamment entre la caricature légère et le réalisme flou du champ de bataille, le tout dans des tons sobres (militaires au possible) qui renforcent l’impression d’une terre ravagée. Les personnages sont travaillés à l’épure, exception faite du capitaine Katana, et tout l’album respire l’efficacité : pas de temps morts, pas une seule vignette inutile, on ressort de ces 64 pages avec l’impression d’en avoir avalé une centaine. Un scénario extrêmement cohérent, compact et donc forcément efficace. La visite dans une ville dévastée par le champ de bataille est d’autant plus réussie que Fernandez s’est fait plaisir : pas d’images étriquées, mais de belles vues, larges, comme un story-board pour un film catastrophe. Un album qui confirme une grande maîtrise, non seulement du pinceau mais également de la plume, et une excellente variation du genre. Un auteur à suivre.

Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 04/02/2008 )
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