L'actualité du livre
Bande dessinéeet Chroniques - Autobiographie  

Ma vie mal dessinée
de Gipi
Futuropolis 2009 /  20 €- 131  ffr. / 144 pages
ISBN : 978-2-7548-0250-5
FORMAT : 19x27 cm

Confessions intimes

Que ce soit dans Notes pour une histoire de guerre, dans Extérieur Nuit, ou évidemment dans S., le livre qu’il a consacré à son père, Gipi s’est toujours arrangé pour parler de lui, de façon plus ou moins avouée. En grand auteur, il parvient à mêler le personnel et l’impersonnel pour nous toucher avec une œuvre qui lui ressemble. Mais il n’a jamais plongé aussi ouvertement dans l’autobiographie qu’avec son nouvel album, Ma vie mal dessinée. Il bascule même franchement dans l’intime.

À un docteur inattentif, puis à un lecteur imaginaire, le virtuose italien raconte ses déboires les plus secrets, à commencer par ses maladies. Honteuses de préférence, et avec des détails. Les drogues, la prison, une tentative de viol de sa sœur, l’hépatite et les problèmes de pénis : Gipi ne fait pas partie de ces auteurs à l’autobiographie creuse inspirée du quotidien. Pour nous autres français qui ne l’avons découvert qu’en 2005, il était facile d’oublier qu’il a déjà 45 ans, et que sa vie est plus remplie que celle des jeunes auteurs émergents.

Mais ce sordide, cet intime intégral, ne semble pas toujours nous être destiné. Gipi l’avoue : ce livre, il l’a d’abord dessiné pour lui-même, pour comprendre son rapport difficile à l’amour. En se représentant, il se lit, trouve ses propres clés, et recompose les événements fondateurs de son mal-être.
Nous ne sommes donc pas des lecteurs idéaux. Dans les miroirs du livre, on nous laisse le choix des rôles, entre le docteur inattentif des premières pages, un pirate sanguinaire qui impose ses propres thèmes, ou un psychanalyste foncièrement idiot. D’où une impression désagréable, comme si cette avalanche d’intime n’était pas faite pour nous, et qu’on se transformait, bon gré mal gré, en voyeurs anonymes.

Pour apaiser la lourdeur de ces confessions, Gipi multiplie les inventions, la fantaisie, l’humour, jusqu’à pousser ses histoires vers l’invraisemblable. Il a aussi l’intelligence de livrer de-ci de-là le découpage d’un épisode imaginaire, celui d’un écrivain macabre au milieu des pirates. Une fable colorée, dessinée avec la précision qu’on lui connaît. À l’exception de ces quelques pages, le trait est jeté, comme à la va-vite. C’est bien un flux de conscience, un monologue ininterrompu, où le dessin et le texte participe du même mouvement. Parfois, il en sort des moments de grâce. Parfois, de simples ébauches.

Derrière le va-et-vient des souvenirs, la narration suit pourtant son chemin. Celui de la difficulté du métier d’adulte, et des différents parcours qui y mènent. Celui de l’amour, des moments où on le rate, des moments où le retrouve. Et finalement, après le rire, l’émotion, la peur et la gêne, Gipi nous offre un moment de sérénité. Ce monde, si atroce, n’est pas dépourvu de beauté.

Ce livre n’est probablement pas son œuvre la plus engageante ; il risque fort, en tous cas, de ne pas séduire tous ceux qui adorent ses histoires. Mais avec son grand savoir-faire, il parvient néanmoins à transformer en entreprise esthétique sa démarche personnelle. Et à transformer, contrairement à beaucoup d’autres, ses souvenirs bassement matériels en une œuvre fantastique, au-delà de la réalité.

Clément Lemoine
( Mis en ligne le 28/01/2009 )
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