L'actualité du livre
Bande dessinéeet Chroniques - Autobiographie  

Je voudrais me suicider mais j’ai pas le temps
de Jean Teulé et Florence Cestac
Dargaud 2009 /  18 €- 117.9  ffr. / 100 pages
ISBN : 978-2-20506174-1
FORMAT : 22x29,7 cm

In memoriam Charlie Schlingo

La bande dessinée est un sport dangereux, le fait est désormais établi. Les plus jeunes ne connaissent sans doute pas vraiment l’œuvre de Charlie Schlingo dont le style poétique, casseur de mot, s’apparente plus au cubisme linguistique qu’à l’académisme. On pourrait le comparer à Edika, à Fred, la démesure provoc’ en plus… car Charlie Schlingo ne craignait ni l’humour débile, ni le questionnement douteux, ni les gags foireux et autres allusions à tout ce qui pète et sent mauvais… On pourrait même dire que tout cela l’inspirait. Une personnalité bizarre, absolument pas mesurée, toute d’excès, de délires et de désespoir. Et le gars Schlingo aura tout essayé : la bouteille, la drogue, le rock très alternatif, la méchanceté un peu aussi, la bagarre, les femmes, et surtout l’alcool quand même… L’incarnation d’une certaine période, celle des années 70, du « tout est possible », des copains et des squats, de l’amour libre, des excès et des misères de la rébellion contre la société de consommation…

Schlingo est mort en 2005 et pour être franc, on peut dire que les jeunes générations ne le pratiquent plus guère… Mais il a encore des amis et des fans, dont Jean Teulé et Florence Cestac. Spécialisée dans les chroniques douces-amères, et gentiment ironiques, du temps qui passe, historienne du milieu à ses heures, et surtout grande nostalgique, Florence Cestac entreprend ici de livrer un témoignage, de ce qu’ont pu être Charlie Schlingo et son temps, après avoir entrepris de restituer récemment l’aventure Futuropolis. Bienvenue dans le foutoir de Charlie Hebdo dans sa grande période, avec à la manœuvre un professeur Choron délirant et très alcoolisé. Et la galerie continue, on y croise toutes les stars soixante-huitarde de la BD (aujourd’hui bien assagies en capitaines d’industrie ou vétérans) dans une ambiance festive ou dépressive, excessive en tous les cas. La « danse sur le volcan », menée par un Schlingo, maître de ballet. Teulé et Cestac se sont trouvés : même ironie, même tendresse et même âpreté dans le trait, sous des couches de rigolade. Le trait rondouillard de Florence Cestac s’adapte parfaitement aux formes épanouies de Schlingo, et permet de gommer, dans une certaine mesure, la tristesse de l’histoire. Un album de vétérans à destiner aux nostalgiques d’une certaine époque et d’une bande dessinée contestataire, ainsi qu’aux happy few du milieu… Une page d’histoire en cases qui, sous forme d’anecdotes enfilées comme des perles sur un fil, déroule une vie, pas toujours drôle, et un mal-être permanent, dissimulé sous des couches de provocation. Mais c’est aussi un album qui pose une question difficile, celle des auteurs et d’une maîtresse illusoire, la postérité.

Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 31/03/2009 )
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