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Bande dessinéeet Chroniques - Autobiographie  

Dans mes yeux
de Bastien Vivès
Casterman - KSTR 2009 /  16 €- 104.8  ffr. / 134 pages
ISBN : 978-2-203-02062-7
FORMAT : 19x28 cm

Plans de séduction

L’encore jeune Bastien Vivès a beaucoup fait parler de lui ces derniers temps, jusqu’au prix Essentiel Révélation à Angoulême pour Le Goût du chlore. Avec Dans mes yeux, son nouvel album, il confirme une nouvelle fois la richesse de son travail.

Comme dans ses deux derniers livres, il s’agit ici de parler des relations humaines, et en particulier de la difficulté des relations sentimentales, sans pour autant perdre légèreté et douceur. La rencontre de deux jeunes gens, banale et à portée universelle.
L’originalité est d’abord formelle : 130 pages durant, on suit l’aventure en vue subjective, dans le regard du garçon. De lui, on ne sait rien : ni le visage, ni les mots, ni le nom. D’elle, pas grand-chose non plus. Mais son image est en permanence au cœur du regard. L’héroïne est observée d’un bout à l’autre, transformée en sujet de récit ; face à un narrateur a priori absent, qui ne s’assume que dans le titre. Dans mes yeux, une manière de révéler qu’il est présent malgré tout, lui aussi, derrière le vide du discours.
C’est qu’il y a de la subtilité dans le sens de l’image ; le pastel se fait plus flou quand le regard peine à faire le point, quand il se désintéresse surtout de ce qu’il a en face de lui. Une narration en creux qui exploite bien le potentiel de la bande dessinée. La vue est totalement subjective, à défaut d’être caméra ; et on lit souvent différemment la scène, puisqu’on se sait dans le regard de quelqu’un qu’elle concerne, et qui pourrait l’interpréter avec ambiguïté.
Quand à cette jeune fille, que l’on suit le temps d’une histoire, elle est d’abord l’image d’une jeune fille, vue par un jeune homme amoureux. Dans le dessin du corps, dans ses gestes, s’exprime une grande tendresse. Vivès aime se perdre dans un trait de plaisir qui pourtant fera sens, pour une représentation de la jeunesse humaine et urbaine.

La rencontre commence dans une bibliothèque, et se poursuivra au Jardin des Plantes, quand celle du Goût du chlore se passait exclusivement à la piscine. De l’unité de lieu, on est passé à l’unité de sujet. Unité complète, posé comme exercice de style. On peut, par contre, tracer des ponts entre les deux albums, comme avec La Boucherie, qui complète la trilogie : même pratique du silence, des corps qu’on dépeint avec un amour non feint, même regard ironique sur le monde et ses modes, et même désespoir final, comme si toute relation sentimentale était vouée à l’échec, sans autre explication.
On peut aussi, en lisant Dans mes yeux, comparer la technique narrative de Vivès avec celle qu’il montrait, il y a moins de deux ans, dans Elle(s) chez le même éditeur. On retrouve les mêmes scènes de danse et de séduction, mais la dramatisation du scénario a été abandonnée pour mieux vivre le moment dessiné, et exprimer avec lui une émotion.
L’émotion, pourtant, n’est pas appuyée. Les plans sont fixes, les dialogues sont sobres. Mais l’alternance des zones d’ombre et des zones d’impudeur nous livrent des êtres humains tout entiers, qui nous touchent. On peut donc remplir les vides à notre manière, et, par-dessus les scènes muettes, plaquer nos propres dialogues. Devant la cage du singe, Bastien Vivès rappelle que comme nous, celui-ci est capable de « faire quelque chose en pensant à autre chose ». Camouflage, mascarade, réinvention d’une histoire par les sentiments humains : même si le corps la vit d’une manière déterminée, la rencontre continue à se déployer dans nos consciences.

Clément Lemoine
( Mis en ligne le 31/03/2009 )
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