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Bande dessinéeet Chroniques - Autobiographie  

Au cœur de la tempête
de Will Eisner
Delcourt - Contrebande 2009 /  17.50 €- 114.63  ffr. / 208 pages
ISBN : 978-2-7560-1682-5
FORMAT : 13,3x19 cm

Dans le rétro

Delcourt continue la réédition de l’œuvre — post Spirit — de Will Eisner avec ce livre de 1991 à l’origine paru chez Kitchen Sink. Le titre et les premières pages sont trompeurs. Si l’on découvre ainsi un Will Eisner enrôlé (nous sommes en 1942), dans un train en partance pour un camp militaire, le reste du récit n’approchera en rien le conflit qui secoue le Vieux Continent. C’est que la vitre du train qui fait défiler le paysage cède rapidement la place à la rêverie et les pensées courent vers le passé. Un regard en arrière précédant un futur incertain. Et ainsi coule, dans un récit semi-autobiographique, la jeunesse de Will Eisner, la carrière professionnelle toujours entre deux eaux de son père, le parcours difficile de sa mère, et une amitié avec un jeune immigré allemand. En toile de fond, la guerre qui fait rage et qui a violemment rallumé les tensions raciales et les préjugés communautaristes transparaît dans les souvenirs de l’auteur. Comme si la situation actuelle ne ravivait que certaines zones de la mémoire. Toute une jeunesse perpétuellement confrontée à un racisme primaire, un antisémitisme ignare. Si le jeune homme tente plus d’une fois de faire la nique à ses détracteurs, la haine et la bêtise sont plus fortes et le voilà toujours remis face à sa condition de juif.

Will Eisner prône une nouvelle fois des valeurs profondément humaines, et s’amuse à démontrer par l’absurde les aberrations des préjugés et des communautarismes. Ainsi ce personnage désabusé d’italien converti au judaïsme avant d’être renié par les siens et de vouloir redevenir catholique pour se marier à une italienne pratiquante…

Comme dans tout ce que l’on a appelé ses « romans graphiques », Will Eisner fait ici la part belle à ses souvenirs, sa ville de New York, ses petits escrocs et ses grands drames, ses rêves envolés et ses accidents de parcours. « La vie est un voyage… D’ici à là-bas », marmonne son père. Et comme le voyage en train qui dure le temps du récit, tout file à une vive allure, les souvenirs se suivent dans un même élan, passant de l’anecdote au grand événement, des petits riens aux bouleversements implacables qui changent une vie. La narration d’Eisner reste un modèle de fluidité et d’intelligence. Le dessinateur joue avec le cadre, le découpage, les ombres, et sert ainsi au mieux un discours dense qui passe d’une époque à l’autre en un brin de case. Si parfois l’ensemble s’avère un peu décousu — on ne contrôle pas les errances d’une pensée flottante — le livre se lit d’un bout à l’autre avec passion et une profonde empathie pour tous ces personnages parfaitement caractérisés.

Alexis Laballery
( Mis en ligne le 25/08/2009 )
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