L'actualité du livre
Bande dessinéeet Chroniques - Autobiographie  

Essex County - Ontario, Canada
de Jeff Lemire
Futuropolis 2010 /  28  €- 183.4  ffr. / 496 pages
ISBN : 978-2-75480-0235-2
FORMAT : 17,5x23 cm

Country chroniques

Encore une belle découverte venue d’Amérique. Ce pavé de près de 500 pages, regroupant trois albums d’abord publiés individuellement puis en recueil chez Top Shelf, permet d’apprécier le talent de narrateur de Jeff Lemire, également responsable du sympathique The Nobody paru ces jours-ci chez Panini.
Si le premier récit peut tout à fait se lire comme une histoire complète et indépendante, les deux volets suivants remettent l’ensemble en perspective, prolongeant la trame et tissant des liens entre les différents personnages. Le tout forme ainsi un univers d’une délicate cohérence, où les personnages existent et évoluent avec force.

Comme le sous-titre l’indique, l’action prend place en Ontario, au Canada. Nous suivons le jeune Lester, dix ans et élevé par son oncle dans une ferme isolée. Renfermé sur lui-même, le jeune garçon passe son temps masqué d’un loup, se prenant pour un super-héros. A la ville, il se lie d’amitié avec Jimmy Lebeuf, l’épicier, chez qui il vient acheter de nouveaux comics. Le récit se développe en quatre parties, rythmé par les saisons : rigueur chronologique qui conduit scrupuleusement ces scènes quotidiennes où tout passe comme au ralenti, et où la douleur se conjugue à l’ennui.

Par la suite, nous suivrons l’histoire de deux frères, joueurs de hockey, qui vont devoir apprendre à (re)vivre ensemble marchant toujours plus proche de la rupture. Enfin, un troisième personnage, celui d’une infirmière de campagne, viendra boucler la boucle et placer les dernières pièces d’un puzzle géographico-familial, révélant ainsi quelques lourds et douloureux secrets.

L’important n’est pour autant pas dans ces révélations qui se dessinent peu à peu. Ce qui intéresse Lemire ne relève pas de l’intrigue mais bel et bien de la simple chronique. Avec un trait rustique, mais où les maladresses ne sont jamais mal venues, des ombres gorgées de noirs et des visages marqués, Lemire a trouvé son style graphique, souple et simple, lui permettant de raconter avec aisance ces petits souvenirs de la campagne profonde. Lemire ne s’embarrasse pas de chichis esthétiques et son découpage pas forcément toujours soigné n’en est pas moins efficace lorsqu’il s’agit de mettre en scène dialogues intimes ou moments suspendus. C’est porté par la conviction intime que ces silhouettes encrées ont une vie qui, même banale, restera passionnante à retracer que Lemire conduit ainsi avec aisance son récital.

Sans chercher à faire pleurer, le livre parle avec sensibilité de la fragilité de l’enfance et de la fébrilité de la vieillesse. Il traite de l’amitié, du temps qui n’efface rien et des liens qui s’effilochent au sein d’une famille. Universel donc. Et de fait, même si l’on reste complètement étranger à la culture du comics ou pire ( !) à celle du hockey sur glace, ces pages se dévorent sans temps mort, laissant au bout du compte, l’impression d’un moment précieux partagé en compagnie de personnages foncièrement attachants.

Alexis Laballery
( Mis en ligne le 18/05/2010 )
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