L'actualité du livre
Bande dessinéeet Chroniques - Autobiographie  

Aller-retour
de Frédéric Bézian
Delcourt 2012 /  16.95 €- 111.02  ffr. / 80 pages
ISBN : 978-2-7560-2305-2
FORMAT : 25x33 cm

Avec le temps, va

Ça commence en couleurs. Ça finira pareil. Dans un train, dont le passager peste contre les inconvénients de la musique enregistrée ; mais le voilà qui descend en gare, et tout est alors en noir et blanc.
C'est le début d'une longue quête, celle d'un homme à la recherche de lui-même et de son enfance. Retour en 1960. Bézian n'aime pas la nostalgie, mais il affectionne les réminiscences : charrette à cheval dans la grand rue du village, éclusier observant les passants sur le bord du canal... Des images, des sons, des odeurs, qui dressent un pont entre hier et aujourd'hui. On ne sait plus trop, pas plus que le personnage, ce qui est du domaine de la réalité et ce qui relève du souvenir.
On suit donc Basile Far, ce double de l'auteur, dans sa redécouverte du passé perdu. Le petit village semble être redevenu ce qu'il était cinquante ans plus tôt, au temps du général de Gaulle et des patronages le jeudi après-midi. La silhouette du héros se promène dans les rues dans l'incapacité d'appartenir à aucune époque.

Autobiographie partielle, sans doute, où l'auteur restitue son village natal et s'offre comme héros aux initiales inversées. Pourtant le dessinateur choisit la fiction, introduisant les marques éparses d'un roman policier ; mais dans tous les indices qu'il nous donne, on aurait plutôt envie de s'attaquer à une autre disparition : celle du temps qui passe.

Après plusieurs récits de genre, Bézian revient à un travail personnel et profond. Ses mots sont fins, ses images sont superbes. Il nous livre un ouvrage marquant, intelligent dans sa forme et plein de résonance pour son lecteur. On a envie d'y retourner, de le goûter avec mélancolie et de le confronter à sa propre expérience.

Les thèmes de la façade, de la grille, du cercle reviennent en boucle. Ce petit village formé de rues concentriques a l'aspect parfait d'une roue, celle du temps. Et d'une toile d'araignée, nous dit le narrateur. Car toute la question est bien de savoir si on peut échapper au passé, faire de la stérile nostalgie une force pour avancer dans la vie. A quel prix peut-on se mettre en paix avec son histoire, reconstituer le temps sans en être prisonnier?
Ça pourrait être aussi une grande mise en abyme, une série de grillages et de portes pour nous renvoyer à la bande dessinée elle-même. Reproduire chaque instant, dans la permanence d'un personnage mille fois répété, alors même que le décor change, sans cesse, sans espoir.
Au contraire, c'est au cinéma que Bézian fait visiblement référence, érigeant le film Maigret et l'Affaire Saint-Fiacre en point d'ancrage, choisissant le noir et blanc comme marqueur chronologique. Et à la musique, un « fantôme auditif » qui sert de témoin.

Le cinéma, la musique, des représentations du temps qui passent. En les mettant en contact avec la bande dessinée, elles se retrouvent confrontées avec une autre vision du temps, celle de l'éternel retour et du hiatus perpétuel.
Quelque chose du lien ténu entre le corps et l'âme se joue là.

Clément Lemoine
( Mis en ligne le 04/02/2012 )
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