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Bande dessinéeet Chroniques - Autobiographie  

Kongo - Le ténébreux voyage de Józef Teodor Konrad Korzeniowski
de Christian Perissin et Tom Tirabosco
Futuropolis 2013 /  24 €- 157.2  ffr. / 176 pages
ISBN : 978-2-7548-0618-3
FORMAT : 22x30,5 cm

Au cœur du cœur des ténèbres

En 1890, un capitaine au long cours de la marine britannique quitte Londres pour aller s’engager en Afrique et commander un steamer sur le fleuve Congo, au service d’une compagnie belge. Le travail s’annonce dur, dans une Afrique tropicale, fiévreuse, soumise à toutes les convoitises et toutes les ambitions coloniales. Mais ce capitaine échoué sur un fleuve n’est pas n’importe qui, il s’agit de Josef Konrad Korzeniowski, qui relatera, et transcrira son histoire dans un ouvrage majeur, Au cœur des ténèbres. Les ténèbres en question, ce sont ceux du haut-Congo, des ténèbres non pas cartographiques, mais plutôt humains. Car si Konrad arrive en Afrique avec quelques vagues illusions sur l’humanité, il les abandonne au fil de son expédition, en prenant conscience des réalités de l’esprit colonial, sans fard, un esprit animé par la cupidité, qui ne recule devant aucune violence, ni aucun massacre. Découvrant les méandres de la colonisation comme il remonte les méandres du Congo jusqu’à Kinshasa, Konrad vacille, frappé par la malaria, et tente surtout de préserver son humanité, confronté à des « Stanley en carton bouilli ». Le fleuve et ses dangers, la jungle et ses dangers, le colon et ses dangers : l’équipée du capitaine Korzeniowski s’apparente plutôt à une épreuve de survie permanente avec, en arrière-plan, un peuple noir à la fois témoin et victime. Des porteurs noirs qui semblent pourtant les seuls à conserver leur équilibre mental. Une mission éprouvante, où le capitaine anglais est également en butte aux haines nationalistes des autres colons, belges et français. Mais Konrad est finalement sorti des ténèbres, avec un récit impressionnant.

On le sait Coppola s’est inspiré du roman de Conrad pour réaliser Apocalypse now : à ce chef-d’œuvre du 7ème art répond, sans hésitation l’album de Perissin et Tirabosco, magnifiquement réussi. Les deux auteurs se sont parfaitement entendus pour mettre en scène ces ténèbres, et restituer, à l’épopée de Konrad, une vigueur toute cinématographique. Avec Konrad, on s’enfonce dans la jungle, on traverse la savane, on navigue sur le fleuve…on pourrait presque se croire dans un récit, édifiant, d’une expédition coloniale… mais le scénario de Perissin s’attache aussi à mettre en image le pire des dangers, l’homme. Les personnages sont soignés, et, par petites touches, bien individualisés. Chaque profil se découpe sur le paysage de la colonisation : on croise des monstres comme des honnêtes gens, tous dépassés par la situation. Et tout cela, mis en scène par un Tirabosco toujours aussi doué et inspiré. Son travail graphique est connu : on avait apprécié Monroe, La Fin du monde, Sous-sols… on retrouve dans Kongo cette technique si particulière et si séduisante, qui mélange crayon, calque et pastel pour un résultat bluffant. Qu’il traverse une savane écrasée de soleil, ou qu’il s’enfonce dans une jungle noyée de pluie aux côtés de Konrad, le lecteur partage, presque physiquement, les sensations du héros, miracle d’un graphisme qui joue à la perfection des ombres et des lumières. Au final, un album d’une grande force et d’une impressionnante beauté graphique, qui séduira les amateurs de Joseph Conrad et tous ceux qu’une fresque coloniale et africaine intéresse.

Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 08/04/2013 )
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