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Bande dessinéeet Chroniques - Autobiographie  

Mettez des mots sur votre colère
de Marc Malès
Glénat 2015 /  25.50 €- 167.03  ffr. / 144 pages
ISBN : 978-2723-494335
FORMAT : 29,5x24 cm

L’enfance volée

Si le titre ressemble à celui d’un ouvrage un peu cheap de développement personnel, il ne faut pas se laisser berner: Mettez des mots sur votre colère est loin d’être reposant pour l’esprit et ne servira à rien dans une quête d’affirmation de soi. Mais c’est de fait une fort belle bande dessinée, nouvelle réussite de Marc Malès. Une fois de plus, après L’autre laideur, l’autre folie et Katharine Cornwell, Malès revient sur les terres d’une Amérique de légende pour mieux faire voler la poussière planquée sous le tapis. Si l’amour de cette Amérique de carte postale est forcément présent, il n’est pour autant jamais aveugle, et comme dans les livres déjà cités ce nouvel album est empreint d’une noirceur honnête, d’une modernité bienvenue qui empêche l’ensemble de tomber dans une évocation clichée ou niaise. Car en effet, le décor est joli, mais il s’en passe de belles dans les coulisses.

L’histoire s’inspire du travail de Lewis Hine qui au début du XXe siècle, parcourt le pays et photographie des enfants au travail. Avec le personnage de Owen Brady, Marc Malès crée un double de Hine. Brady revient vers son employeur après quatre années a photographier une Amérique malade et déboussolée. Son récit poignant et violent se transforme peu à peu en une thérapie personnelle et, à travers les injustices qu’il a rencontrées, Owen Brady va mettre à jour ses propres souffrances.

Marc Malès aime les récits amples et romanesques. Le fait de pouvoir prendre son temps et de ne pas avoir de contraintes de format sont d’indéniables atouts pour lui : il peut ainsi installer ses personnages, évoquer des histoires, et choisir de développer, ou non, des saynètes faisant avancer son récit. Parfois, il en fait sans doute un peu trop et c’est malheureusement le personnage principal, Owen Brady, qui en fait ici les frais. Derrière ses apparences d’impeccable gentleman beau gosse, cet anti-héros est en effet une brute grossière et meurtrie : ses crises de violence surprennent et étonnent jusqu’à ce qu’au bout du compte, Brady devienne foncièrement antipathique et pire, un peu faux. Fort heureusement, emporté par le récit troublant et marquant, le lecteur passera sur ces quelques lourdeurs pour mieux plonger dans cet univers à la fois très personnel et universel. Et le dénouement, salvateur apparaîtra comme une bouffée d’air frais bienvenue après quantité de pages suffocantes, même si nécessaires.

Là où le trait de Marc Malès lorgnait du côté de Milton Caniff dans ses précédents livres, il y a cette fois une nette envie de retrouver le grain de la photographie : tons sépias au service d’un réalisme du trait toujours très présent. Malès aime aussi beaucoup les décors, les grandes vignettes décoratives : il laisse dérouler dans ces cases son amour pour les grands récits cinématographiques portés par une vraisemblance précieuse. Tout le travail de Marc Malès, comme celui de Lewis Hine à l’origine, est ainsi conduit par cette envie de traquer une vérité, de mettre à jour, derrière le clinquant et les ors, toute la triste misère du monde.

Alexis Laballery
( Mis en ligne le 16/06/2015 )
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