Bande dessinée
Chroniques - Autobiographie de Aurélien Ducoudray et Mélanie Allag
Delcourt 2016 / 16.95 €- 111.02 ffr. / 128 pages
ISBN : 9782756051543
FORMAT : 19,8x26,3 cm
Happy Birthday, Kim
La Corée du Nord fait partie de ces endroits chouettes auxquels on ne songe pas toujours quand on pense à une belle destination, et ça, c’est grâce à Kim Jong-Il et à son bienveillant gouvernement… Tandis qu’en Corée du Sud, et pire, aux Etats-Unis, la société vit dans une sorte d’apocalypse permanente, la vie s’écoule paisiblement en Corée du Nord pour Jun Sang. Il y a des copains avec qui il joue à la guerre contre les fantoches américains, il y a des BD comme celle des aventures du soldat Weng, un héros de la guerre, et puis il y a Kim Jong Il, le « dirigeant mondial du XXIe siècle », le « commandant invaincu à la volonté de fer » (etc.), le leader omniprésent, sur tous les murs, sur les écrans, sur chaque place, et dans chaque ville où une maison lui est réservée. Alors certes, l’électricité manque souvent, les enfants sont réquisitionnés pour les travaux des champs, la corruption règne, la peur des dénonciations aussi, et la faim même (heureusement, il y a des chats et des rats…)… mais on s’amuse aussi, comme pour les exécutions publiques de voleurs. Et Jun Sang a un secret, il partage sa fête d’anniversaire avec le leader suprême… autant dire que la vie est belle. Pourtant, dans ce monde parfait, la vie de Jun Sang bascule quand il découvre que son pedigree nord coréen n’est pas aussi pur qu’il l’imaginait. Il serait peut être bon de fuir, mais on ne quitte pas le paradis communiste aussi aisément.
Le totalitarisme, version BD enfantine a toujours quelque chose d’encore plus glaçant : vu à hauteur d’enfant, la Corée du Nord est un paradis cruel, où les vies valent peu… jusqu’au jour où les proches sont touchés. Au scénario, un habitué des dictatures dessinées (le Zaïre de Mobutu notamment), Aurélien Ducoudray, qui explore avec virtuosité les visions de l’enfance, puis le passage aux dures réalités, exploitant les divers récits de rescapés du régime. Servi par un graphisme à la fois doux et très réaliste de Mélanie Allag, alternant l’imaginaire des enfants et le regard des adultes, cet album se dévore, non seulement comme le récit d’une enfance, mais même simplement parce qu’il donne à comprendre et à réfléchir sur ce que l’on appelle totalitarisme et endoctrinement, sur les mécanismes par lesquels une dictature se propage et parvient à rendre héroïque une dénonciation, sur les traumatismes qui résultent de ce type d’expérience. Jun Sang, en s’adressant au lecteur, le confronte à une autre manière de voir – résultat d’une éducation totalitaire – et à la lente désagrégation des illusions. Un récit très inspiré, et une nouvelle démonstration de la puissance d’évocation de la bande dessinée.
Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 18/10/2016 )
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