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Bande dessinéeet Chroniques - Autobiographie  

Sous le feu corse
de Patrice Camberou , François Pottier et Daniel Blancou
Futuropolis 2016 /  21 €- 137.55  ffr. / 136 pages
ISBN : 9782754811965
FORMAT : 20x27,2 cm

Sous les paillotes

C’est de loin le restaurant de plage le plus connu de l’histoire récente : la paillote « Chez Francis », dont l’incendie, un soir du printemps 1999, débouche sur une affaire d’Etat. A l’origine, un restaurant de plage en Corse, construit en dehors de toute législation et qui symbolise, un peu, la singularité de l’île. Pas vraiment ce fameux « non droit » constamment dénoncé (et jamais régulé) mais plutôt une infraction symbolique, dont les locaux comme les vacanciers s’accommodent. Sauf qu’entre-temps, le terrorisme nationaliste a assassiné un préfet… et dans ce contexte, tous les symboles pèsent lourd. Jeune magistrat, Patrice Camberou est de garde quand l’affaire lui tombe, littéralement, dessus… un incendie, manifestement criminel, et qui d’emblée l’intrigue : outre une lettre anonyme, on retrouve du matériel de gendarmerie sur les lieux du sinistre, et le comportement de certains gradés, membres d’une unité d’élite, le GSP, est assez étrange, voire suspect. Certes, il faut chercher partout et ne négliger aucune option, mais… Rapidement, l’affaire prend un tour complexe, et politique : la piste qui part des gendarmes remonte haut, jusqu’à la préfecture et au nouveau patron, le préfet Bernard Bonnet. Et puis il y a, au sein même de la gendarmerie des tensions, et des divergences, des informateurs se présentent. Bientôt, on parle de la paillote de Francis jusqu’à l’Elysée, tandis que Camberou se retrouve à organiser des perquisitions à la préfecture et chez un colonel… Les chaleurs corses sont bien médiatiques…

Comment raconter une enquête, un scandale, une affaire d’Etat ? Comment fixer le point de vue d’un juge, d’un préfet, d’un officier ? Que dire d’une procédure judiciaire ? Cet album, fruit de la collaboration entre un magistrat, un journaliste et un dessinateur pose de nombreuses questions, tant de forme (la mise en scène et la mise en récit d’un soupçon de plus en plus avéré) que de fond (que s’est-il passé ce soir-là et comment le démontrer ?). Tout l’enjeu de l’album est donc de réussir à la fois une narration et une traduction, en image. Aussi les auteurs ont-ils opté pour une approche psychologique de l’enquête : il s’agit d’observer, avec le regard d’un magistrat, les divers protagonistes, et de lire les visages, les mots, les postures, les silences… Un peu comme dans ces grands films de procès hollywoodiens, Daniel Blancou, le dessinateur, choisit des plans serrés, sur les corps, les visages… peu d’action, peu de décors, mais des individus, qui s’affrontent et se dérobent, des regards qui tombent ou esquivent, des dos qui se voutent ou des poitrines qui s’affaissent. La culpabilité trouve divers moyens de s’exprimer, mais elle s’exprime, et l’Etat – bien difficile à matérialiser, si ce n’est dans les individus qui le servent – trébuche. A cette mise en image très subtile correspond un texte dense, fait pour éclairer et placer le lecteur au centre : le travail du juge Camberou et du scénariste, François Pottier, tout en sobriété et en débat personnel, est bien adapté à l’enjeu, non pas celui d’une justice spectacle, mais l’histoire d’un magistrat confronté au doute, à la question des enjeux de son enquête, et au dilemme entre l’intérêt de l’Etat et celui de la justice. Une belle démonstration et une approche à renouveler.

Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 14/11/2016 )
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