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Bande dessinéeet Chroniques - Autobiographie  

Chroniques de jeunesse
de Guy Delisle
Delcourt - Shampooing 2021 /  15 €- 98.25  ffr. / 142 pages
ISBN : 9782413039310
FORMAT : 16,5x23 cm

L’usine, l’été

Avant d’être ce dessinateur globe trotter, qui ramène de divers lieux plus ou moins touristiques (de la Corée du Nord à Jérusalem) des carnets géniaux de souvenirs, des récits et des images, Guy Delisle fut un jeune homme, un bachelier puis un étudiant, un fils, un frère ET un ouvrier en quête de fonds pour démarrer ses études. Bref, il a travaillé durant plusieurs étés, première expérience de salariat dans une usine à papier. Et dans la foulée de ses chroniques, nous partons donc dans la grosse usine de pâte et papier de Québec, un mélange d’usine monstre et de château néo-gothique… un univers en soi, un monde avec ses règles, sa population de sédentaires et de nomades (les jobs d’été), son climat, sa géographie, etc. Ici, le soleil ne brille pas vraiment, c’est un univers gris et blanc, chaud et bruyant, et pour y échapper, il faut s’isoler dans une sorte de cage, ou bien se détacher avec des livres. On y croise des habitués, qui connaissent les bons gestes, les bons mots, savent économiser leur effort et leur temps, et puis il y a les autres, ceux qui jalousent cet étudiant de passage, ceux qui rêvent d’une autre vie et ceux qui sont juste là pour la gagner. Avec l’auteur, on vit au rythme de l’usine et de l’espoir : espoir de décrocher une bonne fac, espoir de compléter un cursus, espoir de trouver un premier job. Et entre temps, l’usine, les machines, le chronomètre des tâches, les autres. On vit aussi avec quelques hantises, comme celle d’être aspiré, broyé, happé par des rouleaux, des machines. Le monde du travail, et surtout une papeterie, n’est pas un monde serein : derrière la page blanche se cache une machine immense.

C’est un récit étrange et beau, qui tranche un peu avec les productions ethnographiques de l’auteur : Guy Delisle nous confronte à un exotisme certes, mais pas géographique. Il s’agit d’un exotisme social, celui d’une usine et de ses habitants. Ce nouveau carnet, est comme les précédents, très réussi, habité par une empathie qui donne à chaque moment, et à chaque rencontre une tonalité douce. Pas d’amertume ou de colère devant un système qui écrase quand même l’humain (à commencer par la figure du père), mais plutôt une curiosité, une attention et une patience, ainsi qu’une vraie tendresse pour ces gens qui, dans l’ombre, font « tourner la machine ». L’analyse également, avec une sobriété de ton qui va de pair avec la sobriété du trait, de ce qu’est le travail et le monde ouvrier, si hétérogène, si varié. Et le spectacle de cette usine, avec ses espaces vides abandonnés à quelques ouvriers responsables, ses machines gigantesques dans lesquelles l’auteur s’aventure, ses moments de grâce aussi (comme une sieste dans un rouleau de papier, ou une promenade sur le toit). Sobriété du trait, presque une épure, sobriété des couleurs, sobriété du ton… mais une richesse et une fantaisie, teintée de nostalgie (moins pour l’usine que pour la jeunesse sans doute) qui rend ce nouveau récit, moins reportage que confession, aussi passionnant et motivant que les précédents. Guy Delisle est toujours à suivre…

Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 28/03/2021 )
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