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Bande dessinéeet Chroniques - Autobiographie  

Les Contes noirs du chien de la casse
de Remedium
Des ronds dans l'o 2017 /  15 €- 98.25  ffr. / 70 pages
ISBN : 9782374180410
FORMAT : 17,8x24,8 cm

Sous les pavés la rage

Depuis une trentaine d’années, la banlieue a été le décor de tous les récits, de toutes les peurs, de toutes les contre-vérités. Tour à tour terrifiante, intrigante, moquée, parodiée, fantasmée, critiquée, ou tenue responsable de tous les maux, la banlieue reste pour beaucoup comme un lointain territoire mystérieux dont on voit des images déformées dans les journaux télévisés ou de pseudo reportages d’investigation. La réalité est malheureusement beaucoup plus complexe pour être simplifiée en quelques traits, décrite en quelques mots. Et le plus souvent, tous ces chroniqueurs du réel passent à côté de l’essentiel des banlieues : les habitants.

Avec ce très beau livre, Remedium ne s’érige pas en rédempteur de vérités. Certes, en ayant grandi et en travaillant dans le 93, il a une certaine légitimité à parler du sujet, mais il ne se pose jamais en donneur de leçons et surtout, surtout !, évite tous les clichés inhérents aux cités. On évite ainsi l’écueil de la gentille racaille et du mauvais flic. Et l’inverse également. Ici il y a de tout, mais il y a surtout des destins immédiatement marqués par le fait de naître et de vivre en cité. Les enfants deviennent adultes plus vite, comme si l’on n’avait plus le temps de grandir normalement et que l’innocence n’avait pas sa place ou alors, cachée, comme une faiblesse un peu honteuse. Et tout est comme ça si l’on veut survivre dans la cité : il faut être fort, fier, quitte à devenir quelqu’un d’autre, changer sa personnalité ou même refuser de voir ce qui se passe sous son nez.

Sept histoires indépendantes composent ce livre, sept récits qui se répondent parfois, et qui délivrent le même triste constat d’une existence gâchée, perdue. Parfois, on croit voir une lueur d’espoir comme l’histoire de ce jeune homme enrôlé par les politiques du coin mais qui finira vite par déchanter lorsque les élections seront passées. Ou cette jeune femme qui se prostitue et qui rêve que, derrière ces coups sur la porte, se cache non pas un client mais quelqu’un qui viendra la sauver de cet enfer. Mais au final, l’amour, mais surtout la fuite, semblent être les seuls moyens d’échapper à cette encombrante cité.

L’écriture est exigeante et oblige le lecteur à prendre son temps pour découvrir ces mots. Il n’est pas question de faux folklore ici avec un pauvre langage de cité qui mélangerait verlan et argot caricatural. Il y a des tournures justes, recherchée, une écriture fluide qui se chanterait presque, avec allitérations, références plus ou moins discrètes et figures de style élégantes. De même Remedium prend plaisir à faire de la bande dessinée, à étudier ses cadres, ses planches, ses mises en scène : un épisode comme « Déments sur canapé » ou le cadrage est fixe tout au long d’une soirée rappelle quelques fameuses chroniques new-yorkaises de Will Eisner. Quant au noir et blanc qui n’accepte pas la nuance, il apporte à la fois une solide posture à ces scènes comme une brutalité terrible. Une belle réussite.

Alexis Laballery
( Mis en ligne le 05/11/2017 )
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