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Bande dessinéeet Chroniques - Autobiographie  

Moi, ce que j'aime, c'est les monstres - Livre premier
de Emil Ferris
Monsieur Toussaint Louverture 2019 /  34,90 €- 228.6  ffr. / 416 pages
ISBN : 979-10-90724-47-1
FORMAT : 20,6 cm × 26,7 cm

Carnet de voyage dans la vie de Karen, dix ans

Un épais roman graphique absolument fascinant venu des Etats-Unis. L’auteure, Emil Ferris (née en 1962 à Chicago), illustratrice, a été victime en 2002 d’une très grave encéphalo-méningite, due à une piqure de moustique. Alors que les médecins pensaient qu’elle ne pourrait plus marcher ni se servir de sa main droite, elle se jette dans ce projet insensé de livre dessiné qu’elle met six ans à réaliser. Un livre de plus de 800 pages qui recouvre plusieurs genres : journal intime, histoires gore, roman historique, carnet de voyage dans l’ambiance sombre des milieux pauvres d’un Chicago des années 1960, traversé par le racisme, et les luttes diverses pour la survie.

Avec énergie, Emil Ferris (qui dessine depuis sa plus tendre enfance) joue du stylo bille, alternant au fil du récit noir et blanc et couleurs. Des pages entièrement, ou presque, occupées par le trait crayonné, avec quelque espace pour une écriture graphique, en capitales, qui les traverse, le tout sur un cahier ligné et spiralé. La jeune narratrice, Karen Reyes, dix ans, y confie sa vie quotidienne entre sa mère et son frère, les voisins, les amies qu’elle ne parvient pas à avoir, son sentiment de solitude, et le sentiment d’étrangeté qu’elle inspire aux autres. La famille vit - survit - dans un sous-sol misérable d’un quartier pauvre. Pour Karen, l’univers est peuplé de «monstres» ; reste à établir la différence entre les gentils et les méchants.

Un récit dans lequel s’entremêlent observations quotidiennes, rêves et fantasmes, sans que la frontière soit jamais clairement indiquée. Un récit dominé par la figure de Maurice Sendak et son célébrissime album Max et les maximonstres (1963), mais influencé également par Fussli, Seurat, les surréalistes, etc., autant de tableaux que l’héroïne découvre avec son frère Deeze lors de leurs visites au musée, au cours desquelles Deeze lui apprend à regarder les œuvres, tableaux qu’elle reproduit et décrypte.

Des personnages attachants peuplent le roman : la mystérieuse Anka Silverberg, survivante de l’Allemagne nazie, tuée dès les premières pages, la mère mi-irlandaise, mi-cherokee, «(…) bouseuse un peu bohème. Dans le gris de ses yeux on voit à la fois le brouillard de Dublin et la fumée des calumets», le grand frère, et la jeune narratrice qui se peint en «monstre» aux dents proéminentes. Karen est un petit loup-garou, qui se veut détective soucieux de découvrir la vérité sur la mort d’Anka, et qui dans son enquête ouvre des mondes, des histoires, des univers glauques, où cruauté terrifiante et humanité se juxtaposent dans une réalité complexe.

Une histoire touchante dans laquelle on pénètre presque par effraction, et qu’on ne lâche plus jusqu’au dénouement. On attend avec une extrême impatience le tome 2 annoncé dès la couverture, et que laisse supposer la dernière page, dont on ne dira rien… Un roman graphique passionnant, pour lequel il faut souligner la qualité du travail éditorial des éditions monsieur Toussaint Louverture, qui a trouvé un vaste public dans le monde (plus de cent-mille exemplaires vendus), et a été récompensé par de très nombreux prix littéraires.

Marie-Paule Caire
( Mis en ligne le 11/01/2019 )
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