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Bande dessinéeet Chroniques - Autobiographie  

Le chanteur perdu
de Didier Tronchet
Dupuis - Aire Libre 2020 /  23 €- 150.65  ffr. / 168 pages
ISBN : 9782800174839
FORMAT : 25,8x19 cm

Fan de toi

C’est l’histoire de Rémy Bé, chanteur quasi anonyme des années 70, et de son plus grand fan, le narrateur de l’histoire, Jean un bibliothécaire déprimé en quête de sa jeunesse. Jean officie dans une médiathèque parisienne, mais le cœur n’y est plus : à la lisière du burn-out, il décide de se lancer dans une immense enquête, un rien barrée, à la recherche de son idole de jeunesse, un chanteur original, inspiré par Brassens et sa propre vie. Problème, le seul indice est une image de pochette de disque représentant un pont de chemin de fer à Morlaix… Parti avec ce maigre reflet de la vie de son idole, Jean avance au hasard, guidé par son étoile, son chat ou bien par un quelconque principe holistique qui, insensiblement, l’amène sur les pas de son héros. Au passage, on rencontre du monde, on papote, on dort dans le lit d’un empereur, on visite un hôpital balnéaire et on assiste à un spectacle de cabaret (un peu daté), on croise Pierre Perret, et même Georges Brassens, et surtout, on revient dans cette île aux nattes déjà visitée à l’occasion du précédent album (Robinsons père et fils) et toujours aussi plaisante. Et puis, parce que le suspens est un peu éventé déjà, on rencontre enfin Rémy Bè, le vrai… mais comment Jean va-t-il approcher son idole désormais âgée, et peut être pas prête à faire face à son fan (et au passé) ? Là, il faut au moins un signe du destin…

Ce pourrait être la version BD de Sugar Man, ce sublime documentaire-enquête sur un chanteur disparu, alors même que sa musique est devenue culte à l’autre bout du monde… Ce pourrait être cela mais ce nouvel album – et même roman graphique, puisque Tronchet en a déjà fait un roman – est bien plus encore, c’est un petit chef d’œuvre de poésie par un grand artiste, qui joue merveilleusement de son art pour nous entraîner dans sa quête.

Tronchet, c’est un peu mon Rémy Bè : je l’ai croisé voilà longtemps, avec quelques albums à la fois immensément drôle et parfaitement décalés (Raoul Fulgurex, Raymond Calbuth)… j’aurais pu le perdre mais il a jalonné son parcours de petites pépites qui, l’une après l’autre, en font l’un des auteurs les plus émouvants du moment. Le graphisme est piégeux, joue sur un faux côté naïf, que les détails (et notamment les visages, les sourires, les regards) démentent, le tout éclairé par un travail des couleurs qui donne à chaque lieu, chaque page, son identité, sa force. Des couleurs primaires au service d’un récit tout en nuance, subtil et tendre, et d’intrigues joliment ficelées par la vie. On voudrait pouvoir dire que cet album est sans doute le plus réussi, le plus intime (quand on sait, depuis le Fils du yéti, combien le thème de la filiation est crucial dans l’œuvre de l’auteur) … mais voilà, cette réflexion, on se la fait à chaque nouvel album, tant le talent est là, au service d’histoires amples et poétiques. Et donc, un grand Tronchet, qui ne dépare pas au milieu des autres albums, et une lecture incontournable pour les fans de Rémy Bè (rares) et ceux de Tronchet.

Alexis Laballery
( Mis en ligne le 03/06/2020 )
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